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  • L’isolation … et si nous faisions fausse route ?

Qui n’a pas lu ou entendu que la France est couverte de passoires énergétiques ? Qui n’a pas lu et entendu de même qu’il faut impérativement les éradiquer, avec comme solution, l’isolation ! Et quand la bien-pensance a posé un principe, devenu une pensée unique, que faire ?

Nous allons essayer de décortiquer la genèse de ce mouvement et d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Nous allons analyser si le diagnostic est bon, mais surtout, si la médication prescrite est la bonne !

Préalable

Il nous semble important de comprendre ce qui fait prendre conscience de la situation de multiples défauts de confort dans de nombreux habitats. S’il n’est pas contestable que la vie dans le froid est inconfortable et difficile, l’urgence à les traiter qui est apparue en quelques années est surprenante. Pourquoi tous ces habitats qui étaient autrefois supportables en l’état pour leurs occupants ne le sont plus désormais ?

Evolution sociétale

C’est un fait, la société a évolué, et nous nous en réjouissons … sous certains aspects. Nous ne vivons plus comme au XXème siècle, encore moins comme au XIXème ou plus reculé encore ! Nous nous réjouissons de ces évolutions et ne souhaitons pas retourner à ces temps anciens.

Les hommes “modernes”, souhaitent bénéficier de conditions de vie les meilleures possibles. Nous les comprenons ! C’est ce que notre société consumériste leur dit à longueur de reportages, de normes et labels.

Des subventions ou aides diverses finissent de les convaincre qu’ils ont droit à “ce confort moderne” qu’est un habitat à 20° ou plus, pour un coût de chauffage correct (sous-entendu “accessible financièrement” par le bénéficiaire). Il semble d’ailleurs que ce n’est pas prêt de s’arrêter tant le législateur va dans ce sens

Heureusement quelques voix se font entendre pour contester ces orientations, et pas des moindres !

Moyens financiers

Au fil de la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) de nos sociétés, le pouvoir d’achat des individus a crû lui aussi. Le PIB et la croissance, semblent être devenus deux des objectifs incontournables, voire majeurs, des dirigeants politiques, aiguillonnés par les financiers et la majorité des économistes.

Pourtant, la croissance forcenée du PIB n’est pas sans conséquence sur les réserves de métaux et d’énergie fossile. Elle entraîne des impacts négatifs sur le dérèglement climatique et les ressources encore disponibles. En effet, ce que nous consommons doit être produit, transporté, installé, entretenu, recyclé (quand c’est possible…), ce qui se fait en consommant des ressources et en relâchant des Gaz à Effet de Serre (GES).

Disposant de moyens financiers de plus en plus importants, nous souhaitons jouir d’une vie plus facile et agréable. Ceci, au plan de l’habitat, a engendré des aspirations à un confort plus élevé, ce qui s’est traduit par une température intérieure plus importante

L’évolution est compréhensible, mais pourquoi faudrait-il chauffer au-delà de 19° pour ressentir une sensation de confort ? Tout simplement car nous vivons plus confinés dans nos intérieurs et nous émettons de plus en plus de vapeur d’eau du fait de nos activités telles que toilettes, lessives, cuisine, vaisselle, le tout dans des habitats plus étanches au vent.

Ces émissions de vapeur d’eau, non ou mal maîtrisées et gérées, engendrent une teneur en eau dans l’air très importante. Cette teneur excessive en eau génère une Humidité Relative (HR) trop importante, ce qui provoque un ressenti d’inconfort.

Tout semble organisé pour compenser en augmentant la température ambiantece qui résout effectivement le problème de l’humidité relative trop importante. Le prix à payer est un chauffage excessif et consommateur d’énergie de plus en plus inaccessible pour les utilisateurs.

Moyens techniques

Autrefois les moyens d’isolation n’existaient pas, si ce n’est sous la forme de fourrage dans les greniers des fermes. Les appareils de chauffage étaient très réduits. Les fourneaux et poêles à bois et/ou charbon furent une belle avancée par rapport aux antiques foyers de cheminée ouverts. Les fourneaux bouilleurs et les premières chaudières au bois bûche participèrent aussi à ce qu’on peut qualifier de progrès.

La progression du PIB a permis une progression financière telle qu’évoquée ci-avant. Les moyens financiers nouveaux ont ouvert la voie du développement de systèmes de plus en plus sophistiqués pour chauffer les habitats.

Les industriels ont découvert que, dès lors qu’ils mettaient des innovations sur le marché, il suffisait de bien communiquer dessus pour convaincre. Ce dernier nous a été vendu (et nous avons adoré l’acheter comme tel) sous une forme de confort misant tout sur le chauffage des habitats.

Sont apparus des systèmes de plus en plus “pointus”, telles les pompes à chaleur puisant leurs calories de base dans l’air, dans l’eau ou dans le sol. Les radiateurs électriques par rayonnement ont remplacé les radiateurs par convection. Les sols chauffants sont devenus le nec plus ultra d’une forme de confort vendu comme étant l’aboutissement ultime.

Tous ces moyens de chauffage ont permis de nourrir le mythe d’un chauffage qui serait synonyme de confort.

Le manque d’habillement

Auparavant, l’idée de vivre en t-shirt à l’intérieur alors que règne une température extérieure négative ne serait venue à personne. Cette aspiration est l’aboutissement d’un mode de vie quasi imposé par les modes vestimentaires, les reportages divers,…Nous voulons pouvoir, à tout prix, évoluer légèrement vêtus chez nous, été comme hiver. Ceci impose de faire appel à du chauffage pour atteindre une ambiance confortable, avec entre autres, une humidité relative confortable, de l’ordre de 50 à 60 %. A n’en pas douter, ce comportement fait partie des plus aberrants qui soit !

Le paradigme mis en place

Tout a été développé pour nous mettre en tête que le bonheur de vivre dans un habitat est lié à sa température. Pour disposer d’un niveau de confort le plus élevé possible, il faut maintenir un taux d’HR compris entre 50 et 60 %. Le plus simple (en tout cas c’est la voie qui a été retenue) pour maintenir ce taux d’HR est d’adapter la température intérieure au niveau adéquat. Attendu que le choix a été fait de porter l’action principale sur le chauffage, il est devenu nécessaire de prendre en compte le coût de celui-ci.

A partir de 1973, cette acceptation de la dépense liée au chauffage, augmentation de l’énergie oblige, a commencé à poser problème. Nous aurions pu en profiter pour nous poser des réflexions de fond mais non ! La piste principale n’a pas évolué : il faut chauffer. Ce qui a changé, c’est qu’il est devenu important de permettre au citoyen lambda de pouvoir se chauffer.

Euréka ! Mettons en place de quoi limiter les fuites de calories pour maintenir la facture de chauffage dans les limites acceptables par ceux qui devront la payer : les utilisateurs !

Confort synonyme de température élevée

Dès lors que l’option retenue a été de chauffer l’air pour faire face à trop d’eau dans l’air, il faut faire monter ce dernier à une température relativement élevée. A  titre d’exemple, de l’air contenant 11 g d’eau par kilo affiche un taux d’HR de plus de 70 % à 19°. Si on se contente de le chauffer pour faire redescendre son taux d’HR à 55%, il va falloir le faire monter à 23°C. 

Analysé sous un autre angle : 70 % d’HR à 19°, c’est environ 11 g d’eau par kg d’air, soit 4 g de plus qu’à 55 % d’HR pour la même température de 19° (11g d’eau (soit la valeur absolue d’eau dans l’air) c’est l’équivalent de 3,5 cuillères à café d’eau dans 0,7 m3 d’air !). Augmenter la température de l’air de 4° suffit pour ressentir du confort en faisant baisser l’HR sans en changer la teneur absolue en eau. Nous continuons donc à opérer ainsi, mais avec quelles conséquences ?

Température élevée synonyme de consommation d’énergie

Un chiffre circule et semble assez juste. Pour un habitat totalement non isolé, 1° de température supplémentaire, c’est 7 % d’énergie de chauffage consommée en plus. Donc, c’est un coût supplémentaire de 4 (degrés) x 7 (% de surconsommation) = 28 %. Soit entre ¼ et ⅓ plus cher !

L’énergie devient rare et chère

Ces coûts ont été admis et assumables financièrement par les utilisateurs aussi longtemps que l’énergie a été peu chère. La situation a changé brusquement en 1973. La France a réagi en ressortant un vieux slogan (vidéo) : “On n’a pas de pétrole mais on a des idées”.

Parmi les idées marquantes, citons la décision de faire baisser la vitesse des véhicules sur route et autoroute, d’inciter à chauffer moins les logements, à éclairer moins longtemps, à prendre moins l’avion. Vous pouvez découvrir toutes ces incitations ou décisions dans la troisième vidéo qui nous est proposée dans un article de l’OBSdéclaration officielle du premier ministre d’alors, Pierre Messmer

Dès alors, le seul levier concernait la consommation à l’exploitation des équipements et systèmes que nous utilisons. Rien n’était abordé pour ce qui concerne leur fabrication, construction, entretien et recyclage.

Il faut économiser l’énergie

Comme le démontre la déclaration officielle de Pierre Messmerla décision d’inciter à économiser l’énergie n’avait pas trait au fait que nous pourrions en manquer un jour, pas plus qu’au fait que brûler de l’énergie fossile contribue grandement au dérèglement climatique. Cela concernait le fait qu’il allait devenir difficile de la payer car elle était devenue très chère.

Pourtant, le dérèglement potentiel du climat et les difficultés sociétales, économiques et politiques, ainsi que de santé, étaient déjà connusau moins de quelques unsLeurs arguments d’alors (vidéo) se sont avérés pour le moins décrire de façon assez juste ce qui se passe aujourd’hui. Effectivement, les économies diverses, financières, de ressources, d’énergie, liées à l’exploitation sont incontestables. Mais qu’en est-il des dépenses, également financières, de ressources et d’énergie liées à la réalisation des travaux ou à la fabrication, à l’entretien et au recyclage des systèmes mis en œuvre ?

Attendu que seules les économies liées à l’exploitation ont été prises en compte et que la volonté a été de ne suivre que cette voie, les autorités de tutelle, les politiques, les économistes dans leur quasi unanimité ainsi que, et nous le déplorons encore plus, nombre de sociologues et urbanistes s’y sont engouffrés et les ont érigées au statut de quasi religion : IL FAUT ISOLER !

Isolons donc !!!

Et pourquoi pas, mais sans analyse préalable des conséquences possibles, multiples et variées ? Certainement pas ! Et pourtant, c’est bien ce qui s’est produit et, plus grave, se produit encore !

L’isolation, de la cave au plafond !

Toute paroi extérieure fuit et laisse échapper de précieuses calories. C’est un fait. Elle fuit de façon variable, selon sa situation et selon sa constitution, mais quelle politique est menée depuis 1973 ? Il faut isoler, tous les points de la bâtisse et à tout prix (un exemple parmi tant d’autres) !  L’objectif est de tendre vers des fuites minimales !

Avec quels bénéfices ?

Peut-on espérer avoir le même impact en isolant un plancher sur vide sanitaire, ou terre-plein, réputés représenter entre 7 et 10 % des fuites totales qu’en isolant un plafond sous combles perdus, réputé, pour une même surface, représenter environ 25 à 30 % de la totalité des fuites ?

Dans l’absolu, ils ont raison au plan de la perspirance et des pieds chauds. Cependant, comment justifier l’économie de quelques calories par la dépense de 20, 50, 100 fois plus d’énergie et de ressources pour la réalisation de travaux que ces derniers permettront d’économiser lors de l’exploitation ? Nous avons perdu le sens commun, le bon sens et la pertinence de nos aïeux !

Une qualité requise et les autres oubliées  

Sous prétexte d’isolation aux fins d’éviter les fuites de calories, nous avons opté pour une seule valeur susceptible de nous permettre d’atteindre nos objectifs, le lambda. Cependant cette qualité, importante, n’est pas la seule. En ne s’intéressant qu’à elle, nous avons fait fi des autres critères que sont la chaleur spécifique, la densité de mise en œuvre, et les capacités de perspirance. 

Quid des effets secondaires de l’isolation ? Quid des externalités ?

D’autres critères sont oubliés. Ils impactent l’environnement, le climat, les ressources, la salubrité, la santé des occupants, la pérennité de l’ouvrage à isoler.

Est-il admissible, alors que nous sommes déjà confrontés aux effets du dérèglement climatique, particulièrement liés aux rejets de CO2 piégés au carbonifère de continuer à utiliser des isolants issus de la pétrochimie ?

En effet, lorsque du pétrole est raffiné, il fournit, selon le type de brut, les mêmes proportions de : essence, gasoil, fuel lourd, lubrifiants, dérivés pétrochimiques… Dit autrement, on ne fait pas ce que l’on veut avec du pétrole. Lorsqu’on le raffine, il se sépare en divers éléments, lesquels doivent être utilisés chacun selon ses spécificités, si on ne veut pas les voir devenir des déchets ultimes. Avec certains, on fait des carburants, avec d’autres des médicaments, d’autres encore fourniront du plastique, des lubrifiants (cf. incendie de l’usine Lubrizol à Rouen), et pour ce qui nous intéresse ici, avec du styrène, on fait du polystyrène, avec de l’uréthane on fait du polyuréthane.

Utiliser ces dérivés du pétrole pour l‘isolation, c’est favoriser cette industrie et rendre les carburants moins chers. En effet, une partie des dérivés trouve un emploi et donc une valorisation.

Dans le même esprit, est-il admissible de favoriser des isolants fortement énergivores à la fabrication et non recyclables (dans les faits), telle que la laine de verre ?

Le lambda, critère quasi exclusif des diverses classifications, permet un très bon classement de tous ces isolantsLeur emploi engendre des externalités que, faute de les avoir anticipées, la société dans sa globalité devra payer … Ces externalités non prises en compte ont des impacts : au plan sociétal, au plan sanitaire, au plan du dérèglement climatique . 

Conclusion

L’isolation ne semble effectivement pas la solution unique pour relever tous les défis qui nous font face : 

  • garantir une salubrité propre à permettre une belle vie aux occupants,
  • tenir compte des effets sur le dérèglement climatique du fait des consommations d’énergie liées à l’exploitation,
  • tenir compte de l’utilisation a minima raisonnée de ressources, par nature, limitées,
  • garantir la pérennité des ouvrages via une sélection très rigoureuse des matériaux et des techniques les mieux adaptés,
  • ET, SURTOUT… répondre au besoin de confort sans tomber dans les excès de la consommation et du consumérisme !

Il nous faut retrouver le bon sens, redevenir pertinents et ne pas nous laisser déborder par des principes élevés au rang de dogme. Une fois de plus, soyons disruptifs : changeons de paradigme !

Crédits photos : FMI Fachverband Mineralwolleindustrie (Wikimedia) GilmanshinGeralt de Pixabay 

Claude Lefrançois


Après 30 ans dans le bâtiment, ancien charpentier, ancien constructeur, ancien maître d’œuvre, formateur dans le bâtiment, expert en analyse des bâtis anciens avant travaux, auteur de nombreux articles et d’un livre “Maison écologique : construire ou rénover” aux Ed. Terre vivante, auteur de 2 ebooks disponibles sur mon blog, je suis désormais retraité.
Je mets mon temps disponible et ma liberté d’expression à votre service : j’observe et j’analyse, au besoin je dénonce ou émet des idées.
Bonne lecture.

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