Terre crue : le meilleur des éco-matériaux ?

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Depuis la nuit des temps, on a utilisé la terre crue comme matériau de base pour nos constructions. C’est même le matériau le plus utilisé sur la planète. Et pourtant, tout a changé à partir du 20e siècle. Pourquoi ? Parce que la terre n’est pas un matériau marchand ! Cette matière première disponible gratuitement quasiment partout, ne nécessite aucunement de la transformer. Pas de valeur ajoutée donc !

Lorsque la première guerre fut terminée, la majorité des charpentiers français étant affectés et décimés sur le front, le savoir-faire associant charpente et remplissage en terre crue (torchis, hourdage) a été largement perdu. On décida de reconstruire vite, tout en se servant des installations déjà en place (usine d’armements). L’acier, le béton et la brique de terre cuite ont donc remplacé les matériaux naturels (bois, pierre, terre). On n’imaginait pas encore que ces éco-matériaux étaient bien moins énergivores et surtout moins néfastes pour la santé et l’environnement.

Saviez-vous qu’il se fabrique chaque année 1,3 milliard de briques sur la terre, dont au moins 10% dans des fours à charbon, ce qui libère 800 millions de tonnes de CO2 par an ! De leur côté, les briques d’argile détruisent la couche arable.

Quatre grandes régions françaises utilisent la terre crue, représentant 15 % du patrimoine bâti français en 20106 : le Rhône-Alpes avec le système du pisé pour ses maisons en terre porteuse, le Sud Ouest privilégie l’adobe, le torchis est prédominant dans le Nord-Pas-de-Calais avec sa terre argileuse, et la bauge est caractéristique de la Bretagne.

Les différentes techniques à base de terre crue

Le Pisé

mur en pisé Grains d’Isère 2012 – Atelier ALP

C’est le principe le plus ancien de construction à fondations dites « ancrées ». La technique du pisé consiste à compacter un mélange d’argile, de sable et de gravier. Étalé en fine couche dans un coffrage (les banches), il est ensuite compacté au « pisoir ».

Pour connaître les domaines possibles d’utilisation d’une terre, il est utile d’en appréhender la composition. C’est à cet effet qu’on pourra procéder à une étude de la granulométrie sur un échantillon représentatif de la terre à utiliser.

La terre de la région Rhône Alpes grâce à sa granulométrie homogène se prête parfaitement à cette solution.

Il est important de savoir que chaque terre est différente et que les techniques de pisage vont alors varier. Chaque mur en pisé sera ainsi unique !

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Construction d’un mur en pisé avec les étudiants de l’EPFL, sous la direction de Timur Ersen, pour l’exposition « Pisé. Tradition et Potentiel »

La Bauge (ou mortier de terre)

mur terre bauge et paille à Bazouges (35)

Système de construction monolithique répandu en Bretagne, les murs en bauge sont construits en empilant des boules de terre malléables (donc moyennement argileuses), puis ils sont battus et taillés.

Les murs sont ainsi constitués d’une succession de couches de terre dites levées généralement d’une soixantaine de centimètres de hauteur. Montée la plupart du temps à la fourche, la levée encore meuble est compactée au bâton, éventuellement taillée au paroir, bêche plate et tranchante, avant d’être lissée ou recompactée.

Selon, le type de mise en œuvre, il faut ensuite une à quatre semaines de séchage avant de pouvoir mettre en place la levée suivante pour laquelle un nouveau mélange d’eau, de terre et de fibres est réalisé.

La terre est généralement extraite sur le lieu de la construction (d’où les nombreuses mares autour des maisons bretonnes en bauge) sous la couche de terre végétale. De par son mélange, les murs en terre et végétaux isolent correctement et possèdent une grande inertie thermique.

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Entretien avec Vincent Guernion artisan spécialiste des architectures en terre crue.

Le Super Adobe (ou Earthbag)

Eco-dôme recouvert

Certainement la technique la plus simple et efficace pour construire. A partir de sacs de terre empilés les uns sur les autres, on va former une structure d’une remarquable solidité, sans aucune charpente.

A partir de bobines de polypropylène tissé, on découpe des sacs (appelé Adobe) de différentes longueurs et les remplit de terre locales, sable, gravats, roche concassée ou tout autres matériaux compatibles et parfois stabilisés avec de la chaux. On empile et on attache les sacs entre eux au fur et à mesure avec du fil de fer ou du barbelé pour monter les murs.

Les ouvertures des fenêtres sont faites à l’aide de cadres ou avec des sacs posés en arc en plein cintre. Le toit se termine dans la continuité du mur dans lequel on peut laisser place à une verrière, une fenêtre circulaire ou de petites ouvertures.

Les murs sont enfin enduits de terre pour l’étanchéité. Le Sud Ouest où la terre possède peu de cailloux se prête particulièrement à cette technique.

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Des plans pour earthbag

Un timelaps en vidéo d’une construction d’un earthbag

2 e partie (l’intérieur)

La brique de terre compressée (BTC)

Brique de terre Crue compressée-(BTC)- Bric a Bloc (79)

Constituées à partir de terre tamisée (0,5 à 0,8 mm au tamis) très légèrement humide, la brique est fortement comprimée à l’aide d’une presse. Une fois pressées, elles sont stockées et mises à sécher en phase humide, sous bâche, durant une à trois semaines. Passé ce délai, elles pourront être mises en œuvre.

Ajouter à des additifs (de l’ordre de 10 % en volume) tels que la chaux, cela permet de la stabiliser, principalement en vue du transport.

On les utilise principalement en intérieur pour construire des murs de refend, des cloisons et des parois non soumises à des efforts statiques.

Plusieurs fabricants proposent en France des presses à BTC  :

On trouve aussi quelques fabricants de briques de terre crue (Argibrique, Argilus ou Bricabloc) Une solution qui doit s’étudier, compte tenu du poids de ces briques, et donc du bilan énergétique à les faire livrer.

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Film de promotion des briques de terre crue du pays mellois (79-Fr)

Les sols en terre crue

Sol en terre crue

Il existe plusieurs manières d’utiliser la terre crue pour réaliser des sols. Elles se répartissent en deux ensembles, les dalles pleines et les systèmes de remplissage qui sont divisés chacun en trois grandes familles.

  • les dalles en terre compactée, à partir d’un mélange humide, qui reçoivent un traitement de surface ;
  • les dalles étalées, réalisées avec un mélange plastique, recouvertes d’un enduit de finition;
  • les dalles en terre coulée, recouvertes d’un enduit de finition.

Il existe aussi différentes formes de remplissage de planchers intermédiaires entre deux étages. Le mélange de terre vient en remplissage de cette structure. Dans ces systèmes de remplissage, la terre est souvent intérieure au plancher, non visible. Il existe des cas où la terre est visible en sous-face, c’est à dire en plafond.

Parmi les systèmes de remplissage, on distingue :

  • un remplissage en torchis lourd sur un support végétal ou sur un support métallique ;
  • un remplissage en torchis léger, sur un coffrage perdu/mobile, ou en éléments préfabriqués ;
  • un remplissage de terre foisonnée sur un coffrage perdu.

Plus d’infos (médiathèque)

Témoignage et réalisation d’un sol en terre crue battue

Les enduits à base de terre crue

enduit intérieur en terre-crue – terrecrue.fr

Les enduits de terre sont utilisés surtout en intérieur et ne nécessitent aucune transformation chimique, ni cuisson à la fabrication, ce qui en fait une solution écologique et saine.

Ils peuvent s’appliquer sur tous les supports granuleux, mais également sur plâtre et sur béton avec une sous-couche d’accroche.

L’adjonction de fibres végétales, de brins de paille (d’orge ou de lin) et parfois de cellulose donne une texture plus uniforme et améliore la fixation en surface. Les couleurs obtenues sont les teintes naturelles des argiles, sans aucun pigment ajouté.

Les enduits sont donc naturellement teintés dans la masse et, pour peu que l’on utilise les mêmes mélanges, on peut faire des réparations sans différence visible de couleur, même quelques années après, car les argiles sont insensibles aux rayons ultraviolets.

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Exemple de réalisation en enduit terre paille

Les autres mélanges à base de terre crue

Le matériau terre peut être obtenu à partir d’une pâte ou d’une boue contenant plus ou moins d’argile ou de limon —ce que les anciens appelaient terre franche— éventuellement dégraissée au sable, éventuellement fibrée de foin ou de paille ou d’autres fibres végétales, additionnée de différents matériaux qui vont modifier ses propriétés (chaux, urine de bestiaux, etc.) utilisée comme mortier ou appliquée comme enduit, ou en remplissage d’une ossature (torchis, hourdage, bousillage, etc.)

Les qualités et défauts de la terre crue

Les principaux atouts de la terre crue

Façade réalisée en terre crue

La terre crue a sur la terre cuite l’avantage d’être moins dispendieuse en énergie, moins polluante. Elle est surtout recyclable à l’infini !

Sa densité élevée lui confère de précieuses qualités d’inertie thermique pour le stockage de la chaleur solaire et sa lente restitution ainsi que pour le confort d’été. Les murs vont alors contribuer à stocker de l’énergie pendant les journées ensoleillées, et à la restituer la nuit, au moment le plus froid de la journée. Les murs en terre constituent un bon isolant phonique.

Sa perspirance, capacité à réguler la vapeur d’eau et donc l’hygrométrie de l’air intérieur, est aussi excellente (μ de 10). Un mur en pisé se gorgera d’humidité pour éliminer le surplus dans l’habitat, et la restituera si l’atmosphère de l’habitat devenait trop sèche, .

L’argile a aussi la particularité d’absorber et de dégrader les mauvaises odeurs, les vapeurs de graisse et même certains COV.

C’est un matériau qui résiste fort bien à l’usure du temps s’il est bien protégé de la pluie, l’argile se révélant un excellent liant. Il peut se réparer en re-coffrant certaines parties, pour le cas du pisé notamment. Il est à noter que plus la terre est compactée, plus l’air emprisonné dans la terre est ainsi chassé, et plus le mur résiste à la pénétration de l’humidité.

Les murs de terre (super adobe surtout) sont très résistants aux incendies, aux inondations, aux tempêtes, aux ouragans et aux tremblements de terre. Ils ne craignent ni les moisissures, ni les termites.

On peut affirmer la pertinence de ce système constructif en façade sud comme mur capteur ou utilisé comme mur de refend pour servir de masse (inertie thermique) à une maison conçue avec une enveloppe très isolante (ex : ossature bois).

Les défauts de la terre crue

Terre base du matériau

Sa mise en œuvre demande plus de temps que pour les autres matériaux, d’où un coût de main d’œuvre élevé.

Ayant tendance à se diluer dans l’eau, il y a lieu toutefois de la préserver des sources d’humidité.

Les murs de pisé ne doivent jamais être recouverts d’enduits non poreux à base de ciment ou contenant des résines synthétiques : l’humidité ne pourrait plus s’évaporer et le mur risquerait de subir de graves dommages. N’utiliser que des enduits terre ou à la chaux.

Côté architectural, on peut parfois se trouver limité par les capacités techniques du matériau. L’imagination de nos designers et architectes ouvrent cependant de nombreuses perspectives à ce matériau très malléable.

La conductivité thermique (λ) du pisé étant de 0,8 watt par mètre-kelvin, il ne peut être considéré comme un bon isolant, puisque la plupart des isolants thermique ont un lambda de 0,04. La plupart des murs en pisé faisant 60 cm, on arrive à une résistance thermique R de 0,75 mètre carré-kelvin par watt. À comparer aux 20 cm d’un isolant avec un lambda de 0,04, qui donne alors un R de 5, on se rend compte que la qualité isolante du pisé n’est pas très bonne.

Pour terminer et répondre à notre question  –  la terre crue est-elle le meilleur des éco-matériaux ? –  nous ne serons pas si catégoriques. La matière en tant que telle n’a aucune valeur technique et commerciale. Elle a besoin d’être conditionnée pour être mise en oeuvre . Cette transformation est – parmi tous les éco-matériaux – celle qui nécessite certainement le moins d’énergie, si elle est  utilisée sur place. Il faudra aussi compter sur une charge en main d’oeuvre non négligeable. Des solutions existent pour réduire ce surcoût.  L’accompagnement d’un artisan mécanisé peut réduire le problème de besoin en main d’oeuvre. Dernière possibilité, le chantier participatif qui offre le double avantage de réduire les coûts de main d’oeuvre et de former aux techniques de la terre.

De toutes les manières, pour obtenir un bâtiment performant, en fonction du lieu où il se trouve, il faudra combiner plusieurs matériaux et penser à l’orientation du bâtiment, car aucun matériau n’aura les caractéristiques parfaites à lui seul.

Sources :

Médiathèque Build Green : Terre Crue

Livres :

Associations :

Divers :

  • Amaco : ateliers et formations
  • Exemples de maisons en terre crue sur Pinterest
  • Articles sur le sujet sur notre Revue de Web Scoop.it
  • Quelques vidéos sur la terre crue

Image de Une : Stoltz Bluff Eco-Retreat se trouve sur des terres forestières privées surplombant une vallée de la rivière de l’île de Vancouver en Colombie-Britannique. La petite maison a été conçue et fabriquée à la main par ses propriétaires Tonya et Leon en utilisant des matériaux naturels et recyclés, et est complètement autonome. + d’infos

 

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Pascal Faucompré
Editeur et Rédacteur en chef de Build Green, le média participatif sur l'habitat écologique et pertinent. Passionné par le sujet de l’éco-construction depuis 2010. Également animateur de nombreux réseaux sociaux depuis 2011 et d'une revue de web sur : Scoop.it

5 réflexions sur “Terre crue : le meilleur des éco-matériaux ?

  1. Bravo pour cet article pro avec de l’autocritique, de l’histoire, et de la perspective. Dans la même dynamique, nous travaillons chez Ecozimut sur des usages « retrouvés » de la terre crue: enduit terre en projection mécanique, béton de terre crue…
    Au plaisir de partager avec les passionnés de la construction économe et pérenne.

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