Durabilité: « Le carbone n’est pas l’ennemi » William McDonough

Cet article a été traduit de l’article de Metropolis Magazine :  » Pourquoi les architectes doivent repenser le carbone (ce n’est pas l’ennemi que nous affrontons) « .

Susan Szenasy, rédactrice en chef de Metropolis, interviewe William McDonough – l’auteur et le concepteur de Cradle to Cradle design – pour comprendre pourquoi nous devons commencer à employer une nouvelle langue au sujet du carbone et du design durable.

Susan Szenasy: Votre article dans Nature,  » Le carbone n’est pas l’ennemi « , a vraiment attiré mon attention. Vous redéfinissez la façon dont nous pensons le carbone, ce qu’il est et ce que nous devrions rechercher. On dirait une nouvelle phase à laquelle vous nous conduisez. Comment avez-vous eu cette idée, qu’il faut une nouveau langage sur le carbone ? Pouvez-vous retracer votre processus de pensée ?

William McDonough: [Avec la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique à Paris en 2015], tout le monde disait: «Oh, nous devons le faire, réduire notre carbone de 20% d’ici 2020.» Eh bien, quand tu y penses Susan, c’est absurde. Ce que vous nous dites est ce que vous n’allez pas faire. Vous allez réduire votre méchanceté de 20% d’ici 2020 ? Ce serait comme entrer dans un taxi et dire au chauffeur, « Vite, je ne vais pas à l’aéroport. » Cela ne nous dit pas ce que vous allez faire.

William McDonough, 2016. Image de Marta Chierego – World Economic Forum

À ce stade de l’histoire, pour la plupart des scientifiques, le carbone dans l’atmosphère est un véritable problème. Il répond effectivement à la définition d’une toxine. Une toxine est un matériau au mauvais endroit à la mauvaise dose et sur une longue duré. L’eau est très toxique à mauvaise dose et dans la durée. Si je vous y immergeais, pendant six minutes, vous seriez morte. Mauvaise dose, mauvaise durée. Si vous sautez d’un avion au-dessus de l’océan et frappez l’océan à la vitesse terminale, c’est une très courte durée et parfaitement radical. Quoi qu’il en soit, vous êtes mort. L’eau peut être très toxique.

Le carbone, une matière agréable qui peut être très bien sous d’autres formes, pourrait être un problème dans la mauvaise dose, la durée et le lieu qui ne convient pas. Il ne faut pas attaquer le carbone (a priori). C’est la partie qui me bouleverse dans la formulation et l’expression. Nous faisons du carbone l’ennemi. Le carbone n’est pas l’ennemi, il est un spectateur innocent.

SS: Que devrions-nous penser du carbone?

WM: Pensons au carbone selon ses propres termes. Définissons la circonstance dans laquelle se trouve le carbone. D’accord, si je brûle du carbone et je le libère dans l’atmosphère, je l’appelle libre. Il s’est échappé. Vous ne voulez plus générer cette forme de carbone. Dans le cas du plastique, c’est une forme de carbone qu’on retrouve souvent dans l’océan. C’est du carbone libre. Il s’est lui aussi échappé. Cela, nous n’en voulons pas car il pose des problèmes.

Maintenant regardons le carbone qui s’est fixé ou recyclé à travers les générations, nous pouvons l’appeler carbone durable. Il dure. Limestone Mountain est le carbonate de calcium (calcaire) [montagne américaine située dans l’état de de Virginie, en France, nous pourrions citer le Jura, une partie des Alpes, les falaises crayeuses de haute Normandie, le sous-sol de la région parisienne …]. Il est stabilisé, le carbone en roche. Idem pour le fond des océans. C’est stable. C’est cru. C’est durable.

Ensuite, en dehors de ça, vous avez des choses comme une bouteille en plastique pleine d’huile ou une poutre de bois dans un plafond ou un livre dans une bibliothèque. Ce sont des éléments en carbone. Les poutres au plafond, si elles sont là depuis 500 ans, c’est du carbone durable. C’est une forme de carbone stabilisé depuis 500 ans, durable. Une bouteille en plastique contient de l’eau. Si je brûle cette bouteille, elle devient fugitive. Si je jette cette bouteille dans l’océan, elle devient fugitive. Différentes formes, vous voyez?

Le troisième type, je l’appelle le carbone vivant. C’est du carbone dans le sol. Le carbone provient de l’atmosphère et l’azote provient de l’atmosphère à la surface de la terre et se combine avec l’eau et le soleil et les minéraux et devinez quoi ? La magie se produit. La vie. La physique rencontre la chimie et voilà la biologie, nous. C’est la vie elle-même. Il est utile dans la terre en tant que sol vivant. C’est ce que j’appelle le carbone vivant.

Avec ces termes, vous pouvez rapidement vous demander : est-ce un carbone vivant ? Ensuite, il doit être sûr pour le sol. Est-ce un carbone durable ? Alors nous devrions le recycler ou le laisser là où il est. S’est-il échappé et cause-t-il des problèmes ? C’est du carbone fugitif.

Les différents types de carbone

Ensuite, il y a une autre source, qui est le comportement humain. Quel  comportement humain donné engendre quel ces résultats ? Si vous libérez du carbone dans l’atmosphère, à ce stade de l’histoire, en quantités naturelles et non naturelles, j’appelle cela le carbone négatif. Vous créez une cause provoquant un problème. Vous étouffez l’atmosphère. Ce serait comme verser du plomb dans une rivière. Il serait négatif.

Si vous gardez les choses fixes et les recyclez, ou les laissez là où elles sont pendant des générations et prenez soin d’elles, l’action est neutre en carbone. C’est un équilibre. Il est fixé tranquillement. Vous ne le faites pas fuir, etc. Il est inerte.

Si vous prenez le carbone de l’atmosphère et que vous le mettez dans le sol et il s’accroît en tant qu’élément de vie dans le sol, c’est le “comportement carbone positif”. Tout comme la nature prend le carbone de l’atmosphère et le met dans le sol, vous prenez le carbone de l’atmosphère et le mettez dans le sol. Nous pouvons également prendre le carbone de l’atmosphère et faire des polymères avec. Nous pouvons fabriquer du carbone durable avec le carbone atmosphérique, initialement libre.

Nous avons trois types de carbone : Vivant, Durable, Fugitif. Ils peuvent se transformer, non ? Une poutre de bois qui est carbone durable pendant 500 ans dans un bâtiment à Oxford, peut devenir encore un sol, s’il n’a pas été contaminé. Il sera durable à la vie.

SS: Vous faites vraiment une distinction entre une ressource et un poison.

WM : En quelque sorte, oui. Je dirais que le carbone vivant est une source. C’est la source de la vie elle-même. Ensuite, le carbone durable est une ressource. Vous pouvez l’utiliser et le recycler, encore et encore. Vous recyclez le plastique. Vous réutilisez le carbone lié à la terre comme du bois. Vous le réutilisez. Le carbone fugitif, au mauvais endroit, dans la mauvaise dose et sur la durée, est une toxine.

SS: Comment demanderiez-vous aux architectes de penser à cette dichotomie ressource / poison que nous venons d’identifier?

WM: Quand quelqu’un dit: «Nous allons être négatifs en action carbone», il veut réduire le carbone qu’ils rejettent dans l’atmosphère, n’est-ce pas ? C’est ce qu’il veut dire. Le premier ministre du Bhoutan s’est levé et a dit: «Le Bhoutan va être un pays à carbone négatif. Nous allons garder nos forêts, et nous allons capturer trois fois plus de carbone avec nos forêts que nous n’en libérerons en brûlant des parties de celui-ci . » D’accord?

SS: Oui.

WM: J’appellerais cela un acte positif dans mon livre. Lorsque vous nommez ce carbone négatif, il suppose que le carbone lui-même est un négatif. Alors votre action de l’abaisser est un négatif. Vous avez un double négatif. Vous réduisez la méchanceté. Dans leur cas, ils ramènent réellement le carbone dans le sol. Je préférerais appeler cela un acte ou une chose positive en carbone. C’est une de mes préoccupations.

Un autre exemple, c’est quand on dit: «Je vais utiliser un mégawatt d’électricité et ça va libérer le carbone de la combustion (de mon énergie primaire brûlée pour sa production). Je vais compenser cela, pour être net, avec une quantité d’énergie renouvelable (équivalente) quelque part. C’est ce qu’on appelle les crédits d’énergie renouvelable.

C’est un décalage, souvent ailleurs, souvent très loin. Maintenant, c’est une chose merveilleuse à penser, mais la préoccupation que j’ai est la science. Si vous utilisez 100 unités de carbone pour produire l’énergie dont vous avez besoin, puis vous le compensez avec 100 unités d’énergie renouvelable et vous l’appelez “net zéro”, cela signifierait que vous pouvez utiliser 200 unités de puissance de carbone et produire 200 unités d’énergie renouvelable. Et vous appelez net zéro, non?

SS: Ouais.

WM: En ce qui concerne l’atmosphère, vous avez juste doublé la quantité de carbone. L’atmosphère ne voit pas les énergies renouvelables. Il sait simplement que vous avez doublé le carbone. En ce qui concerne l’atmosphère, vous êtes pire.

William McDonough + ICEhouse Partners à Davos, en Suisse. Image Bertrand Radelow

SS: Comment pouvez-vous expliquez cela dans la langue des laïcs?

WM: Il suffit de l’arrêter. Ne pas compenser. Le dioxyde de carbone dans l’atmosphère est comme le plomb dans une rivière, non? Vous ne mettez pas de plomb dans les rivières. Vous ne commencez pas par dire: «Je vais réduire mon plomb dans la rivière de 20%. » Vous l’arrêtez. C’est une toxine. Voici un exemple graphique. Quand nous sommes allés voir les enfants de Flint, dans le Michigan, et nous leur avons dit : «Hé, les enfants. Vous savez, vous avez un problème de plomb. Vous allez être le plomb zéro net. « Quoi? C’est complètement absurde. Il suffit de dire: «Nous cessons de faire cela. » C’est tout ce dont vous avez besoin. Le message graphique clé pour tout le monde est : ce n’est pas facile, mais nous sommes censés arrêter de mettre le carbone sous ses diverses formes délétères dans l’atmosphère et dans les océans.

SS: Comment pensez-vous que nous pouvons réaliser le vieux rêve de bâtiments comme les arbres et les villes comme les forêts? Comment commencer à adopter cela comme une sorte de mantra de l’humanité pour le 21e siècle?

WM: Nous, les humains, devons avoir une humilité incroyable. Il nous a fallu 5000 ans pour mettre des roues sous nos bagages. Un arbre émet de l’oxygène. Un arbre émet un chant d’oiseau. Un arbre produit des fleurs, des fruits, distille l’eau, fournit l’habitat, construit le sol, fournit du carburant. Il peut se reproduire. Comment avons-nous fait ? Nous avons juste mis des roues sur nos bagages.

La raison pour laquelle je fais mon travail est parce que je produis une valeur immense pour mes clients. Ils font de l’argent, vendent des bâtiments sur des marchés qui sont insensibles, parce que nos bâtiments sont si beaux. Tout ce que nous faisons est productif en termes de valeur et de création. Comment puis-je obtenir la valeur ? Vous dites, « Oh, mon bâtiment sera moins cher que ce bâtiment. Je vais utiliser moins d’énergie que ce bâtiment. » Vous finissez par comparer tout.

Une partie du problème concerne les normes de certification ou les systèmes de notation. Vous vous retrouvez en référence à d’autres choses. Vous essayez d’être moins mauvais ou de faire plus d’argent ou quoi que ce soit. Ce sont des chiffres. C’est une signification statistique. Je commence par les valeurs. Qu’est-ce qui est juste ? Qu’est-ce qui ne va pas ? C’est pourquoi nous disons : Être moins mauvais n’est pas être bon. Moins, c’est une relation. C’est numérique. mal est une valeur humaine. Vous ne pouvez pas mélanger les mathématiques et l’éthique comme ça.

De là, nous passons aux principes. C’est pourquoi j’ai écrit les Principes de Hanovre (pdf). Ce sont des principes qui insistent sur le droit de l’humanité et de la nature à coexister. Éliminer le concept de déchets. S’appuyer sur les flux d’énergie naturelle. Respecter les limites de la conception. Être humble. Ce genre de choses.

 

L’atrium de BSH au PARK 20l20, un développement urbain à grande échelle aux Pays-Bas par William McDonough + Partners. Image  DDOCK

Ensuite, à partir de principes, vous vous déplacez vers des visions. J’ai des visions de villes comme des forêts, des bâtiments comme des arbres. Ce sont des visions. Sans exécution, ce sont des hallucinations. Je le sais.

De vos visions, vous vous déplacez vers vos objectifs. Mes objectifs ne sont pas d’être moins mauvais ou d’utiliser 10% de moins de carbone. C’est d’être comme un arbre. Mon objectif est très simple. Mon but est un monde délicieusement diversifié, sûr, sain et juste avec l’air, l’eau, le sol et la puissance propres. Maintenant, c’est un objectif.

SS: C’est un objectif absolu.

WM: Alors vous élaborez des stratégies, alors vous mettez en place des tactiques, alors vous adoptez un nouveau langage.

SS: Nous sommes ici dans les 17 premières années du 21ème siècle, et chaque ville construit des développements massifs. Elles ressemblent à ce qui se fait depuis les années 1970. Les villes comme les forêts et les bâtiments comme les arbres, nous contournons ces concepts depuis longtemps. Ce n’est pas que les architectes et d’autres personnes n’en sont pas informés. Quelle est votre réaction face à ces immeubles qui se ressemblent et ressemblent à ceux d’il y a 50 ans ou, pour être plus généreux, il y a 20 ans ? Pouvez-vous faire une critique de ce point de vue – que diable faisons-nous maintenant ?

WM: Je dois juste avoir de l’espoir, Susan. Je pense que les gens font le mieux qu’ils savent, mais c’est sans inadéquat et c’est un comportement sans principes. L’objectif est de définir des principes novateurs. C’est pourquoi nous avons besoin de ce nouveau langage.

Je pense que les gens qui œuvrent pour construire sont pris dans un paradigme d’action visant à nourrir leur famille du mieux qu’ils peuvent, en donnant le meilleur d’eux-mêmes. Ils voient un monde de limites, ce qui les fait travailler dans le monde des limites et de la cupidité. Quand je vois un monde d’abondance et de partage. C’est juste une façon différente de regarder le monde. Pourquoi faisons-nous encore des choses qui ressemblent à celles des années 70 ? Je pense que notre comportement n’est pas encore libéré d’un monde de limites et d’avidité.

Une partie de ce que j’espère faire est de saluer la paix avec ces mots. Je ne suis pas ici pour me battre. Je suis ici pour faire la paix avec la planète. Le siècle dernier est devenu le siècle de la pollution. Nous avons eu le siècle de l’équité du 18ème. Nous avons eu le siècle de l’économie du 19ème. Le 20ème siècle fut le siècle de la pollution. Ce siècle doit être le siècle écologique parce que nous détruisons notre maison.

Je pense qu’une autre voie est possible, et je sais que c’est une réponse vague et infinie à votre question. C’est comme une préoccupation psychologique fondamentale que les humains ont eues à la suite de la bombe atomique. Pour les gens de mon âge, même si je n’ai pas grandi aux États-Unis, je me souviens d’être venu visiter et d’être en troisième année pour quelques mois avec mes grands-parents. Ils nous apprenaient à plonger sous nos pupitres pendant une attaque nucléaire, comme si cela nous aiderait. Je pense qu’il y a toute une génération qui pensait peut-être que le monde pourrait se terminer à un moment, maintenant il est temps de simplement aller et obtenir ce que vous pouvez pendant que vous le pouvez, (avec un  impact zéro).

Je crois que tout cela repose sur la nécessité de la paix. Ouais, c’est grand. Ouais, c’est l’espoir. Oui, c’est probablement souhaitable et pas efficace. Ce que je peux faire à ce sujet est une petite chose, peut-être changer un langage, aider les gens à changer leur façon de penser.

SS: Nous avons besoin d’espoir plus que jamais. Je m’inquiète simplement que ce soit un peu trop tard pour nous.

WM: Il est toujours trop tard et il est toujours temps de commencer. La vie est comme ça.


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Pascal Faucompré
Editeur et Rédacteur en chef de Build Green, le média participatif sur l'habitat écologique et pertinent. Passionné par le sujet de l’éco-construction depuis 2010. Également animateur de nombreux réseaux sociaux depuis 2011 et d'une revue de web sur : Scoop.it

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