Fermes verticales : solution ou utopie pour l’alimentation urbaine ?

Un peu partout dans le monde, on voit se développer des fermes urbaines. Qu’elles soient sur les toits ou dans des bâtiments dédiés, leur objectif est de nourrir les villes. Est-ce vraiment la solution écologique pour y parvenir ?

[Traduit de l’article de Eric Wagner du Magazine Low-Tech]

Si l’électricité d’une ferme verticale est fournie par des panneaux solaires, la production d’énergie occupe au moins autant d’espace que la ferme verticale économise.

L’agriculture urbaine dans les « fermes » intérieures verticales est en progression. Les lumières électriques permettent aux cultures de pousser en couches les unes au-dessus des autres tout au long de l’année. Leurs partisans soutiennent que les producteurs peuvent ainsi économiser beaucoup de terres agricoles. Autres avantages, moins d’énergie est nécessaire pour transporter la nourriture (la plupart des gens vivent dans une ville) et moins d’eau et de pesticides sont nécessaires.

Quelles cultures ?

Les exploitations verticales qui sont actives commercialement depuis plusieurs années se concentrent toutes sur les mêmes cultures. Ce sont des produits agricoles à forte teneur en eau, tels que la laitue, les tomates, les concombres, les poivrons et les herbes. Cependant, ce ne sont pas des cultures qui peuvent nourrir une ville. Ces produits ne contiennent pratiquement pas de glucides, de protéines ou de graisses. Pour nourrir une ville, il faut des céréales, des légumineuses, des racines et des oléagineux. Ceux-ci sont actuellement cultivés dans le monde sur 16 millions de kilomètres carrés de terres agricoles – presque la taille de l’Amérique du Sud. [1]

Cultiver du blé verticalement

Une installation artistique actuellement présentée à Bruxelles –  The Farm  – explore ce qu’il faudrait pour faire pousser du blé dans une ferme verticale. Pour l’expérience, 1 mètre carré de blé a été semé dans un environnement complètement artificiel. En mesurant l’apport de matières premières telles que l’énergie et l’eau, le projet montre dans quelle mesure les écosystèmes naturels soutiennent notre production alimentaire. Lorsque le blé est planté dans le sol les uns à côté des autres, au lieu d’en haut, le soleil fournit de l’énergie gratuite et l’eau gratuite des nuages.

Une miche de pain pour 345 euros

L’expérience montre que cultiver 1 m² de blé dans un environnement artificiel coûte 2 577 kilowattheures d’électricité et 394 litres d’eau par an. L’énergie requise pour la production de matériel (comme l’éclairage) n’est pas incluse dans ces résultats, il s’agit donc d’une sous-estimation. Le coût énergétique du bâtiment n’est pas non plus pris en compte, et cela concerne à la fois la construction et son utilisation, par exemple pour le chauffage, le refroidissement et le pompage de l’eau.

Le calcul des coûts inclut le prix de l’équipement (1 227 euros). La durée de vie de l’infrastructure est estimée à 8 ans. La production de 1 m² de blé en milieu artificiel coûte 610 euros le mètre carré et par an (y compris les infrastructures, l’électricité et l’eau). Sur ce montant, 412 euros vont à la consommation d’électricité et seulement 1 euro à la consommation d’eau. Ce calcul peut être surestimé car l’installation est mise en place dans un espace d’exposition.

La « ferme » produit quatre récoltes par an. À chaque récolte, on cultive suffisamment de blé pour faire une miche de pain (580 grammes), qui coûte au moins 345 euros. Chaque pain contient 2000 kilocalories, la quantité dont une personne moyenne a besoin par jour. En conséquence, 91 m² de blé produit artificiellement sont nécessaires pour chaque personne, pour un coût total de 125 680 euros par an.

Le paradoxe de l’agriculture verticale

L’éclairage artificiel permet d’économiser de la terre car les plantes peuvent être cultivées les unes au-dessus des autres, mais si l’électricité nécessaire à l’éclairage provient de panneaux solaires, les économies sont annulées par la terre requise pour installer les panneaux solaires. La ferme verticale est un paradoxe à moins que les combustibles fossiles ne fournissent l’énergie. [2] Dans ce cas, il n’y a pas grand chose de durable à ce sujet.

Calculée à un rendement de 175 kilowattheures par mètre carré de panneau solaire par an, la culture en intérieur de 1 m² de blé nécessite 20 m² de panneaux solaires. Ceci est une sous-estimation car les calculs sont basés sur le rendement moyen d’un panneau solaire. Il y a beaucoup moins de soleil en hiver qu’en été. En réalité, la ferme verticale a besoin de beaucoup plus de panneaux solaires pour continuer à fonctionner toute l’année. Il faut également une infrastructure de stockage d’énergie, qui coûte aussi de l’argent et de l’énergie. Enfin, la production de panneaux solaires nécessite également de l’énergie, ce qui exigerait encore plus d’espace si le processus de production lui-même devait fonctionner sur des panneaux solaires.

Innovation ?

Toutes ces critiques s’appliquent également aux exploitations verticales où sont cultivées de la laitue et des tomates. Dans ce cas, il y a une réduction significative de la consommation d’eau. Ces entreprises sont rentables, mais uniquement parce que le processus repose sur un approvisionnement en combustibles fossiles bon marché. Si les panneaux solaires fournissaient l’énergie, les coûts et l’espace supplémentaires pour l’approvisionnement en énergie annuleraient à nouveau les économies en termes d’espace et de coûts. Le seul avantage d’une ferme verticale serait alors les distances de transport plus courtes. Pourtant, nous pourrions tout aussi bien rendre les transports entre la ville et la campagne plus durables.

Le problème avec l’agriculture n’est pas que cela se produit à la campagne mais qu’il dépend fortement des combustibles fossiles. La ferme verticale n’est pas la solution puisqu’elle remplace, une fois de plus, l’énergie solaire gratuite et renouvelable par une technologie coûteuse et dépendante des énergies fossiles (lampes LED + ordinateurs + bâtiments en béton + panneaux solaires). Notre mode de vie devient de moins en moins durable, de plus en plus dépendant des matières premières, des infrastructures, des machines et des énergies fossiles. Malheureusement, cela s’applique également à presque toutes les technologies que nous qualifions aujourd’hui de durables.

 

[1] Souriez, Vaclav. «Ce sera plus difficile que nous ne le pensions de sortir le carbone [Blueprints for a Miracle].»  Spectre IEEE 55.6 (2018): 72-75.

[2] Les éoliennes et les centrales atomiques sont d’autres options – voir les commentaires de l’article (anglais).

 

Notre avis : l’agriculture urbaine peut certainement apporter un complément d’alimentation sur quelques cultures spécifiques (normalement saisonnières) mais ne remplacera jamais les besoins immenses en céréales, légumineuses ou oléagineux. Mais ce qui reste surtout problématique avec ce concept, c’est l’usage de l’eau en milieu urbain. Même si c’est aussi le cas en milieu rural, l’impact en ville y est beaucoup plus important. Par ailleurs, les ressources nécessaires pour la construction de ce type de bâtiment (évaluées à 40% du bilan carbone sur son cycle de vie) sont telles que la compensation carbone réalisées avec la production alimentaire ne suffirait pas pour atteindre la neutralité dans des délais raisonnables (moins de 20 ans). On peut aussi s’interroger sur la qualité des aliments sans soleil ?
En ce qui concerne l’énergie nécessaire pour éclairer, chauffer les bâtiments, vous allez certainement arguer que le nucléaire est la solution pour obtenir une énergie décarbonée. Je vous renvoie vers un de mes articles pour vous rappeler ô combien cette énergie, certes décarbonée, n’est absolument pas une solution écologique !

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Pascal Faucompré
Editeur et Rédacteur en chef de Build Green, le média participatif sur l'habitat écologique et pertinent. Passionné par le sujet de l’éco-construction depuis 2010. Également animateur de nombreux réseaux sociaux depuis 2011 et d'une revue de web sur : Scoop.it

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