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Le carbone biogénique et les matériaux biosourcés

Dans une analyse de cycle de vie d’un produit, d’une construction, un des points déterminant pris en compte est la quantité de carbone consommée. Mais de quel carbone parle t-on ? Comment ce carbone est-il pris en compte et calculé ? Un décryptage réalisé par le cabinet Karibati …

Qu’est-ce que le carbone biogénique ?

Le développement de tout végétal est lié au phénomène de la photosynthèse. La photosynthèse se caractérise par l’équation suivante : 6CO2 + 6H2O -> 6CH12O6 + 6O2

phenomene-photosynthese

Le principe de la photosynthèse

Ainsi, la transformation chimique opérée lors de la photosynthèse induit la création de dioxygène, qui va être réémise dans l’atmosphère, mais aussi la formation de glucose (6CH12O6), qui va permettre à la plante d’opérer sa croissance. Le carbone présent dans ce composé fait partie intégrante de la plante. Ce carbone dit « biogénique » est donc le carbone constitutif du végétal, provenant du processus de photosynthèse à partir du CO2 présent dans l’air.

A noter : le carbone biogénique est lié à un cycle court, c’est pourquoi on ne considère pas que les produits pétrosourcés, pourtant issus de matières premières végétales mais sur des cycles très longs (le pétrole résulte de la dégradation thermique de matières organiques, sur des millions d’années), contiennent du carbone biogénique.

Pourquoi prendre en compte le carbone biogénique ?

stockage carbone en fonction du tempsDu fait de ce prélèvement initial de CO2  dans l’atmosphère, les végétaux contribuent à la diminution du « stock total » de gaz à effet de serre (GES), et présentent ainsi un bénéfice sur le changement climatique. On dit qu’ils représentent un puits carbone.

Pour illustrer cette notion de puit carbone, il convient de se placer à l’échelle d’une parcelle de surface cultivée. Le graphique ci-contre illustre ce phénomène pour 1 ha de chanvre dont la biomasse produite annuellement est intégrée dans un produit dont la durée de vie est de 50 ans. Il se base sur l’hypothèse qu’en fin de vie, tout le CO2 est réémis. Trois scénarios concernant la culture du chanvre sont ici présentés :

  • Scénario 1 : Hypothèse de 1 ha de chanvre cultivé pendant 75 ans puis laissé à l’abandon ;
  • Scénario 2 : Hypothèse de 1 ha de chanvre cultivé pendant 50 ans puis laissé à l’abandon ;
  • Scénario 3 : Hypothèse de 1 ha de chanvre cultivé pendant 100 ans.

Ce graphe montre que, compte tenu du caractère annuel de la culture, intégrer la biomasse issue de cette culture dans un produit à durée de vie longue permet de séquestrer de façon pérenne du carbone.

De plus, un produit de construction va avoir une durée vie comprise entre 25 et 50 ans, les réémissions de CO2 dues à la décomposition du végétal vont donc être retardées par rapport au cycle naturel plus court de la biomasse dans des usages agricoles. Ainsi, le phénomène de puits carbone est optimisé.

Il est donc important de prendre en compte ce bénéfice et de l’évaluer lorsque l’on intègre de la matière première biosourcée (donc du carbone biogénique) dans un produit.

Dans tous les cas, concernant le rôle des biosourcés sur l’atténuation du réchauffement climatique, il est réel, uniquement si la ressource biosourcée utilisée est renouvelée, ce qui est le cas pour une forêt gérée durablement (où l’on replante les arbres après une coupe) ou pour les cultures annuelles (où l’on replante chaque année et donc où l’on entretient un réservoir carbone). Par conséquent, on pourrait considérer la prise en compte du carbone biogénique, d’une part pour les forêts gérées durablement (comme préconisé dans la norme NF EN16485_DEP Bois ronds et sciage1) et d’autre part pour les biosourcés issus de cultures annuelles.

Comment le carbone biogénique peut-il être pris en compte sur l’ensemble du cycle de vie d’un produit ?

De façon schématique, le cycle de vie d’un produit de construction biosourcé est le suivant :

cycle de vie d’un produit

Cycle de vie d’un produit

Deux étapes du cycle de vie sont donc sensibles :

  • La séquestration du carbone biogénique lors de la production de matière première biosourcée (et sa prise en compte ou non) ;
  • Les réémissions en fin de vie.

Il existe 3 façons de considérer le carbone biogénique dans le cycle de vie (NF EN 16760 Produits biosourcés ACV2) :

  • « Carbon neutral » : dans ce cas, on ne comptabilise ni la séquestration du CO2, ni l’émission de ce dernier en fin de vie. Cette méthode ne permet pas de prendre en compte le fait que tout le carbone biogénique n’est pas forcément réémis dans l’atmosphère. De ce point de vue, elle ne permet pas de mettre en évidence l’intérêt des produits biosourcés par rapport aux produits minéraux, et ne met en évidence qu’un intérêt partiel des produits biosourcés par rapport aux produits pétrosourcés ;
  • « Comptabilisation totale » sur tout le cycle de vie : cette méthode est complexe à mettre en place car elle nécessite de réaliser un bilan détaillé des flux à toutes les étapes, de définir des allocations spécifiques et est fortement sujette à discussion et critique ;
  • « Carbon storage » : Dans ce cas, on part du produit fini et de la quantité de biosourcé contenue, on connaît les structures chimiques des molécules constitutives, on en déduit la quantité de carbone biogénique, et donc la quantité de CO2éq. séquestré (voir paragraphe 2.2.2). Le contenu séquestré est affecté à l’étape A1 (approvisionnement en matières premières) de la FDES. En fin de vie, les quantités de carbone biogénique émises dans l’atmosphère vont dépendre des scénarios de fin de vie retenus.

La notion de séquestration du carbone biogénique est, pour certains produits, bien encadrée. Ainsi la norme « NF EN16485_DEP Bois ronds et sciage » précise que la séquestration du carbone biogénique ne peut être prise en compte que « pour le bois provenant de pays ayant décidé d’appliquer l‘Art. 3.4 du Protocole de Kyoto ou pour le bois provenant de forêts, opérant selon des programmes établis de certification pour la gestion durable des forêts ».

Comment calculer la quantité de CO2 séquestré dans un produit ?

D’après l’équation chimique de la photosynthèse, afin de séquestrer 1 mole (quantité fixe d’atomes) de carbone, il faudra que la plante utilise 1 mole de CO2. Le carbone et le dioxyde de carbone n’ont pas la même masse molaire (M(CO2) et M(C)). Il est donc nécessaire de prendre cette différence en compte dans les calculs.

Au final, la masse de carbone présente dans l’espèce végétale est donc ce qui va déterminer la masse de dioxyde de carbone séquestrée.

Afin de connaître la masse de carbone, on peut utiliser la masse de matière sèche totale, msèche, ainsi que la teneur en carbone dans cette matière sèche, en pourcentage, Pc.

Avec ces éléments, la masse de CO2 séquestrée s’exprime ainsi :

masse-co2-sequestree

 

Cependant, les espèces végétales utilisées comme matière première auront toujours un taux d’humidité, H, exprimé en %. Il faut donc exprimer la masse sèche en fonction de la masse humide, mhumide. Pour terminer, on a donc la formule finale :

formule-masse-seche

Calcul de la teneur en carbone Pc de la matière sèche :

La teneur en carbone Pc de la matière sèche peut être obtenue :

  • directement via des tests de teneur en carbone ;
  • en calculant la teneur en carbone des différents composés de l’espèce végétale.

Pour calculer la teneur en carbone via les différents composés de l’espèce végétale, il faut connaitre la composition de l’espèce végétale.

La moyenne pondérée des teneurs en carbone des différents composés (cellulose, hémicellulose, pectine et lignine) donne une teneur en carbone totale Pc. Exemple de différentes espèces végétales :

teneur-carbone-espece-vegetale

Quelle influence de ces choix de modélisation sur l’indicateur « réchauffement climatique »4 ?

De façon schématique, le cycle de vie d’un produit de construction biosourcé est le suivant :

On observe que deux paramètres peuvent avoir une influence sur l’indicateur réchauffement climatique : le choix de la donnée et le scénario de fin de vie.

  • « Waste wood » : donnée représentant du bois non traité mis en décharge.
  • « Biowaste » : donnée représentant des déchets verts mis en compost.

Concernant le choix des données d’entrée :

rechauffemnt-climatique-en-fonction-des-dechets

Dans le diagramme ci-dessus, nous avons observé l’indicateur réchauffement climatique » pour plusieurs données de la base ecoinvent pour un même scénario de fin de vie (mise en décharge) :

  • « Waste »: donnée moyenne de tous les déchets existants (bois, métaux, polymères, verres, etc.) mis en décharge ;
  • « Waste mineral wool » : donnée représentant la laine minérale mise en décharge ;
  • « Waste polystyrene » : donnée représentant du polystyrène mis en décharge ;
  • « Waste wood » : donnée représentant du bois non traité mis en décharge ;
  • « Biowaste » : donnée représentant des déchets verts mis en compost.

 

On observe une grande différence entre les données. Il y a un représentative possible.

Ce diagramme montre l’importance du choix de la donnée à utiliser lors de la modélisation d’un matériau (biosourcé ou non).

A ce jour, il n’existe pas de donnée de traitement de déchets de matériaux biosourcés car la filière de traitement de déchets bio-sourcés n’est pas développée. Lors d’une modélisation d’un matériau biosourcé il faudra donc veiller à choisir la donnée la plus

Concernant le scénario de fin de vie :

Le type de scénario en fin de vie a beaucoup d’impact sur l’indicateur réchauffement climatique, dû au carbone biogénique séquestré dans le déchet. Dans le diagramme ci-dessus, nous montrons les flux de CO2 entre les différents types de scénarios pour 1 unité.

  • Incinération : dans ce scénario, le matériau biosourcé séquestre 1 unité de CO2 éq. lors de la production (croissance de l’espèce végétale). Il y a ensuite une réémission de 1 unité de CO2 éq. lors de l’incinération du matériau. Le bilan des flux est donc nul. Dans le cas d’une incinération avec valorisation énergétique, seul le calcul du module D* permet de mettre en évidence l’intérêt environnemental.
  • Mise en décharge sans torchage du méthane sur 100 ans : dans ce scénario, le matériau biosourcé séquestre 1 unité de CO2 éq. lors de la production (croissance de l’espèce végétale). Il y a ensuite une réémission sur 100 ans due à la dégradation du matériau. Lors de cette réémission, du CO2 et du CH4 (méthane) sont rejetés. Dû à l’absence de torchage, 100% du CH4 est rejeté dans l’atmosphère. Dans ce scénario, le bilan des flux est positif, il y a donc potentiellement une contribution au réchauffement climatique.
  • Mise en décharge avec torchage du méthane sur 100 ans : dans ce scénario, le matériau biosourcé séquestre 1 unité de CO2 éq. lors de la production (croissance de l’espèce végétale). Il y a ensuite une réémission sur 100 ans due à la dégradation du matériau. Lors de cette réémission, du CO2 et du CH4 (méthane) sont rejetés. Dû à la présence de torchage, 70% du CH4 est récupéré. Dans ce scénario le bilan des flux est négatif, il y a donc une séquestration de CO2 éq..
  • Valorisation matière : dans ce scénario, le matériau biosourcé séquestre 1 unité de CO2 éq. lors de la production (croissance de l’espèce végétale). Le matériau va ensuite être réutilisé lors d’une seconde vie. On compte alors les impacts qu’il aurait engendré en fin de vie, puis les impacts évités dus à sa revalorisation en matière. Dans ce scénario le bilan des flux est négatif, si on considère la seconde vie. Cependant, dans le cadre d’une ACV, la seconde vie dépasse les frontières du système. Le bilan est donc nul. Par conséquent, si on veut mettre en évidence l’intérêt environnemental d’une tel scénario, il est nécessaire de calculer le module D*.

*Le cadre de la norme Européenne EN 15804, impose de présenter les résultats d’analyse de cycle de vie d’un produit suivant 4 modules: A, B, C, D. Le module A contient les impacts environnementaux de la production, du transport et de la mise en œuvre. Le module B présente les impacts liés à la phase d’utilisation du produit. Le module C décrit les impacts liés à la fin de vie du produit. Enfin le module D permet de calculer les bénéfices environnementaux, au-delà du système, liés à la réutilisation, la valorisation ou le recyclage du produit.

Que conclure de ces différentes observations ?

Par la réaction de photosynthèse, les végétaux transforment le CO2 de l’atmosphère en carbone, aussi appelé carbone biogénique. La photosynthèse permet donc de diminuer le stock global de CO2 de l’atmosphère et ainsi le phénomène de réchauffement climatique. Par conséquent, les produits qui intègrent une matière première produite par photosynthèse (les produits biosourcés) ont potentiellement un impact positif sur le réchauffement climatique (dans le sens d’une diminution du phénomène).

Il est donc important, lorsque l’on évalue l’impact sur l’environnement d’un produit biosourcé, de tenir compte de cette spécificité intrinsèque à la nature même du produit, et de l’évaluer de façon scientifique et objective.

On doit donc :

  • vérifier que le fait d’intégrer une matière première biosourcée dans un produit ne va pas remettre en cause le caractère renouvelable de la ressource et contribuer à diminuer durablement le réservoir carbone global de la biomasse ;
  • prendre en compte le carbone séquestré à sa juste valeur (en fonction du végétal concerné) ;
  • prendre en compte la réémission potentielle en fin de vie en fonction d’hypothèses et de scénarios de fin de vie réalistes (et notamment de cinétiques de dégradation) ;
  • prendre en compte à leur juste valeur les intérêts environnementaux en calculant le module D.

En suivant ces différentes étapes, le stockage du CO2 par les produits biosourcés sera évalué à sa juste valeur et pourra donc être valorisé dans les FDES et dans les ACV de bâtiments.

Notes & références

  • Norme « Bois ronds et sciages Déclarations environnementales de produits Règles de définition des catégories de produits en bois et à base de bois pour l’utilisation en construction » (NF EN 16485)
  • Norme « Produits biosourcés Analyse du cycle de vie » (NF EN 16760)
  • Base de données pour l’Analyse de Cycle de Vie « Ecoinvent »—ecoinvent.org
  • FCBA (2012), Rapport d’étude. Volet 2. Phase 1, 2, 3. Prise en compte de la fin de vie des produits bois. Direction de l’Habitat de l’Urbanisme et des Paysages

Photographies : Francisco Gonzalez (paille) —Y Hustache (autres photos).

(Source)

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Karibati
Karibati est une jeune entreprise innovante née de la conviction que le bâtiment de demain intègrera le végétal pour devenir performant aux niveaux environnemental, économique, social et culturel. Karibati accompagne les acteurs publics et privés qui innovent grâce aux matériaux biosourcés pour le bâtiment. Notre nom associe « kari » qui signifie "jardin" en Maori et « bâti ».

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