Le Chaume : un matériau naturel aux multiples usages pour le bâtiment

Le roseau est un matériau utilisé depuis des siècles en couverture. La toiture en chaume est notamment caractéristique des chaumières normandes. Cependant, ce matériau naturel demanderait à être mieux connu parmi les matériaux durables et biosourcés recensés pour le bâtiment (toit, bardage).

Pour nous en dire plus sur le chaume, sa culture, ses caractéristiques et usages, nous avons interrogé Anaël RISTORD, chargée de mission économie circulaire roseau et structuration filière chaume locale, au Parc naturel régional de Brière.

Roselière

Roselière

Peux-tu te présenter et nous expliquer ta mission au sein du Parc de Brière ?

Je travaille au Parc naturel régional de Brière, en tant que chargée de mission pour la structuration de la filière chaume (roseau) locale et la mise en place d’une économie circulaire du roseau. Je fédère le réseau d’acteurs (partenaires scientifiques, institutionnels, professionnels, association de propriétaires, organismes techniques et scientifiques) et anime les actions de :

  • Structuration de la filière chaume locale (Brière) qui vise à sécuriser l’approvisionnement en roseau, à l’élaboration des règles professionnelles couverture chaume, à étudier la durabilité des couvertures en chaume et à animer le dispositif d’aides aux propriétaires pour les couvertures dégradées prématurément
  • Mise en place d’une économie circulaire du roseau. L’objectif est de développer une filière pérenne de valorisation des déchets de découverture des chaumières, de valoriser aussi les roseaux mis de côtés tout au long de la chaine de chantier d’une chaumière.
Roselière

Roselière

Ces roseaux non utilisés en couverture peuvent avoir d’autres usages dans la construction (isolant, bardage, support d’enduits, etc). En parallèle, nous étudions le potentiel des roselières du territoire et la relance d’une coupe locale raisonnée.

Ce programme d’action est mené par le Parc depuis 2016 pour la préservation de son patrimoine de chaumières très riche en Brière.

Quelques données sur le roseau et les roselières en France

On appelle chaume le matériau posé en couverture. Il peut être d’une grande variété de fibres végétales, d’origine agricole (paille, seigle…) ou issu de zones humides (roseau, jonc, typha…). En France, actuellement, le chaume est majoritairement du roseau.

En Brière, on compte une dizaine d’entreprises de chaumiers, et une centaine en France.

Paquets de roseaux séchés

Paquets de roseaux séchés

La durée d’un chantier varie selon le nombre de chaumiers. Pour un chaumier travaillant seul, le chantier peut durer 3 mois, et environ 20 jours à 1 mois avec plusieurs chaumiers.

Voici quelques chiffres :

  • 1 botte de roseau fait 20 cm de diamètre et pèse 4kg
  • Sur une chaumière moyenne de 200 m², 3 000 bottes de roseau sont posées, soit 12 tonnes
  • 1 m² de couverture en chaume correspond à 15 bottes et 60kg
  • 1 hectare de roselière peut fournir de 700 à 1 000 bottes, donc permet de couvrir 45 à 65 m²
  • Pour couvrir une chaumière, nous avons besoin de 3 à 4 hectares

Le programme d’actions du Parc est un projet local, donc nous avons essentiellement des données qui concernent notre territoire. En termes d’approvisionnement en roseau en Brière, en 2020, 20% du roseau provient des Pays de la Loire et du Morbihan, 50 % de Camargue et 30 % d’Europe de l’Est. Le roseau ne provient pas plus de France car nous manquons de coupeurs de roseau. La coupe est une filière de moins en moins rentable à cause de la concurrence des pays de l’Est, où ce travail est très développé. Nous manquons aussi de connaissances sur les roselières, en termes de qualité, de volume de roseau disponible, mais aussi en termes de gestion écologique des roselières, et de son entretien. Un bon entretien des roselières permettrait d’éviter leur vieillissement et de maintenir leur état écologique.

En effet, il s’agit de milieux à très forts enjeux écologiques, qui sont inclus dans de nombreuses zones environnementales protégées puisque les roselières accueillent une biodiversité qui lui est propre et des espèces d’intérêt patrimonial.

Nous souhaitons améliorer les connaissances des roselières de notre territoire (de manière reproductible sur les autres roselières de France), afin d’étudier leur potentiel et obtenir des conseils de gestion pour concilier coupe raisonnée et équilibre écologique. Nous avons lancé pour cela cette année une étude pour connaître le potentiel des roselières de Pays de la Loire et du Morbihan et des conseils de gestion adaptés.

Comment et quand est récolté le roseau ?

Le roseau est récolté en hiver, lorsqu’il est sec. La plante n’est pas semée, elle pousse naturellement dans les milieux humides. Elle se renouvelle tous les ans. En couverture, toute la plante est utilisée. Lors de la coupe, le coupe récolte le roseau, le dispose en botte. Les bottes sont posées telles quelles sur la couverture, elle ne subit aucune transformation.

Il y a deux manières de couper le roseau

Il peut être coupé à la main. En s’équipant d’une faucille, dans des marais immergés avec 70 cm d’eau. Les bottes de roseau sont ensuite retravaillées une par une pour permettre un séchage efficace. Cela nécessite une trentaine de manipulations. Un coupeur à la main coupe 70 bottes par jour. Cette méthode existe en Brière où il y a encore 3 coupeurs, qui récoltent environ 5 000 bottes chaque année, et 7 autres coupeurs qui récolte des volumes plus petits. Cette méthode se fait de plus en plus rare. Etant donné la faible rentabilité, pour eux, il ne s’agit pas d’une source de revenus mais plus d’une activité passion.

Coupe manuelle des roseaux en Brière

Coupe manuelle des roseaux en Brière

Il existe la coupe mécanique, à l’aide de machines de coupe. Pour la plupart, il s’agit de machines sur-mesure, d’anciennes dameuses à neige réadaptées. La récolte se fait sur terrain sec. La coupe mécanique permet de récolter environ 2 000 bottes par jour.

Coupe mécanique des roseaux en Camargue

Coupe mécanique des roseaux en Camargue

Dans le secteur grand Ouest, nous comptons :

  • Une entreprise de coupeur dans le Morbihan, capacité de récolte : 30 ha par an, 25 000 bottes
  • Une famille de coupeur en Normandie, capacité de récolte : 100 ha par an,
  • Une famille de coupeur en Camargue, capacité de récolte : 2 000 ha par an

Quel est l’usage du roseau ?

Le roseau est majoritairement utilisé en couverture horizontale, verticale ou totale. Le bardage en panneaux de roseau compressé est aussi réalisé en Pays de la Loire par une entreprise de chaume en Brière.

Divers projets en France ont montré que d’autres usages sont possibles (et performants !) pour le roseau dans la construction. Qu’il soit utilisé en tiges rassemblées en bottes (comme les chaumières), en tiges assemblées en panneaux ou en broyat, il peut assurer le rôle de bardage, d’isolation, de support d’enduit, de brique/béton etc. Nous avons comme projet au Parc de tester ces mises en œuvre et de prouver leurs performances et viabilités.

Pose d'une toiture en chaume

Pose d’une toiture en chaume

Voici quelques opérations remarquables en France :

  • Chaume Urbain, Aubervilliers (93), livré en 2021 – Couverture horizontale
  • Le clos des fées, Paluel (76), livré en 2013 – Couverture horizontale
  • Maison de la nature et de l’environnement, Perigny-sur-Yerres (94), livré 2021 –
  • Immeuble de bureaux, Nantes (44), livré en 2017 – Bardage en panneaux
  • Beautour – Centre de découverte de la biodiversité, La Roche-sur-Yon, livré 2014 – Couverture totale
  • La Maison RoZo, Savenay (44), livré en 2019 – Couverture verticale et isolant vrac
  • La maison en roseaux, Saint-Nolff (56), livré en 2015 – Couverture verticale et isolant vrac
  • Centre socio culturel du Val de Cisse, Nazelles-Negron (37), livré en 2018 – Couverture verticale

Et à l’étranger :

Centre pédagogique Wadden Sea Centre, Danemark – Couverture totale

Observatoire ornithologique, Pays-Bas – Couverture totale

Quels sont ses avantages et particularités du chaume ?

Il s’agit d’un matériau à très faible impact environnemental en termes de stockage du carbone, de valorisation des déchets roseaux, de l’absence de traitement pour un produit fini, de ressource disponible localement etc.

Le roseau possède des qualités d’isolation thermique et phonique importantes permettant un confort accru pour les usagers et ce, en toute saison, sans compter qu’il participe à la régulation de l’hygrométrie des espaces et de la qualité de l’air intérieur.

Séchage des roseaux

Il représente aussi des atouts socio-économiques grâce à la création d’emplois non délocalisables en mobilisant des ressources locales valorisant les circuits courts.

Une couverture a une durée de vie de 35/40 ans. Pour une bonne durabilité d’une couverture en chaume, il s’agit de faire en sorte que l’eau s’évacue correctement, et qu’il n’y ait pas un taux d’humidité trop élevé, ce qui offrirait des conditions favorables au développement de microorganismes. Pour cela il est préconisé de respecter une bonne qualité de roseau, de surveiller et entretenir sa chaumière, respecter une bonne mise en œuvre (pente de toit, orientation …). La pose du chaume en vertical n’est par contre pas sujette à ce problème de dégradations.

A t-on des données techniques sur ses performances ?

Le roseau, comme les matériaux biosourcés, fait souvent l’objet d’a priori. Concernant le feu, le roseau est moyennement inflammable, ne propage pas le feu et ne dégage pas de gaz toxique (couverture M3 – CSTB ; panneaux B2 – DIN 4102-1). Le roseau n’est pas appétant pour les petits animaux mais peut représenter un abri. Des insectes peuvent apparaître quelque temps mais ce phénomène est passager et sans danger.

Grâce à sa haute teneur en silice, il a une forte durabilité naturelle et ne nécessite pas de traitement. Le roseau possède un bon comportement à l’humidité. Ses tiges hydrophobes rendent possible la réalisation d’enveloppes perspirantes. Nous serons à même de communiquer les données techniques sur les performances du roseau lorsque les essais de caractérisation seront réalisés.

Quelles sont les techniques de pose ?

La pose du chaume est très complexe. On dit qu’un chaumier a besoin de 5 ans pour apprendre à être autonome. Les roseaux sont rassemblés en bottes lors de la coupe, les bottes sont fixées une par une directement sur les liteaux, eux-mêmes fixés sur la charpente. Le chaume en toiture est posé couche par couche. Des barres horizontales plaquent et maintiennent les bottes contre la toiture.

Pose d'une toiture en chaume

Pose d’une toiture en chaume

Nous retrouvons cette barre horizontale à chaque couche. Les fixations (fils d’acier) serrent chaque botte, emprisonnée entre la barre horizontale et les liteaux. Les bottes sont donc prises « en sandwich » entre la barre horizontale à chaque couche et les liteaux. Le chaume est façonné de façon à ce que l’épaisseur finale du chaume soit entre 35 et 40 centimètres. Concernant le sens du chaume, le pied des tiges est vers le bas, la panicule vers le faîtage. Le faîtage peut être réalisé en terre ou maçonné.

Existe t-il un avis technique, un DTU ou des règles pro sur le chaume ?

L’Association Nationale des Couvreurs Chaumiers (ANCC) travaille depuis 2019 avec un grand nombre de chaumiers sur l’élaboration de règles professionnelles pour la couverture chaume. Avec l’aide du Parc, l’écrit s’est achevé. Les essais de caractérisation en laboratoire commenceront en 2024. Ce gros travail a permis aux chaumiers de se réunir, se mettre autour de la table et donner un nouvel élan à la filière pour une meilleure structuration et visibilité.

Comment réagissent les assureurs sur l’usage du chaume ?

La technique de pose du chaume est pour l’instant technique non courante… jusqu’à l’arrivée des règles professionnelles.

Où peut-on trouver des artisans chaumiers ?

En Brière, on compte une dizaine d’entreprises de chaumiers, et une centaine en France.

L’Association Nationale des Couvreurs Chaumiers regroupe la plupart des chaumiers qui exercent en France. Les artisans sont plutôt implantés dans le grand Ouest mais on peut en trouver partout en France.

Si vous cherchez un chaumier, l’association pourra vous orienter. Pour la Brière, une liste des chaumiers exerçants sur le territoire est disponible sur le site du Parc naturel régional de Brière.

Qu’est-ce que le parc de Brière et ses activités ?

Le Parc naturel régional de Brière est l’un 58 Parcs, et l’un des tout premiers Parcs régionaux français. Il est géré par un syndicat mixte composé des collectivités locales qui pilotent les actions de la charte du Parc.

Cette charte est issue d’une large concertation entre les communes, les intercommunalités, départements et régions du territoire. Elle définit les missions et objectifs du Parc pour 15 ans. Elle détermine les orientations de protection, de mise en valeur et de développement équilibré du territoire et est différente dans chaque Parc. C’est le document de référence qui régit un Parc naturel régional.

Le Parc s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire d’une trentaine d’agents au service du territoire, chargés d’animer la charte.

Le Parc naturel régional de Brière anime six projets phares :

  • Développer une gestion intégrée des espaces naturels et urbains
  • Se mobiliser face à l’accélération du changement climatique
  • Encourager la transition agricole et alimentaire du territoire
  • Consolider l’offre de découverte des patrimoines au service des habitants et du tourisme de nature
  • Favoriser l’emploi des matériaux bio et géo sourcés et le développement d’économies circulaires
  • Construire et stimuler une citoyenneté active

Les marais occupent 1/3 du territoire classé du Parc. Ces espaces naturels sont reconnus aux niveaux national, européen et mondial pour leur paysage et leur biodiversité. La Brière recèle également un patrimoine architectural et culturel exceptionnel de chaumières. Il s’étale sur 21 communes, et est un lieu de vie pour 80 000 habitants, ce qui en fait l’un des Parcs avec la plus forte densité de population.

Sur certaines zones en Brière, l’utilisation du chaume en matériau de couverture est obligatoire afin de préserver notre patrimoine.

Un matériau qui mérite donc qu’on s’y intéresse un peu plus pour ses nombreuses qualités, une fibre végétale, à la fois naturelle et recyclable, qui capte le CO2 tout au long de sa vie et offre des caractéristiques techniques bien plus avantageuses que d’autres matériaux, notamment en confort d’été et d’hiver.

Merci à Anaël RISTORD, pour ses réponses à notre interview.

Plus d’infos sur Parc naturel régional de Brière

Crédit PhotosParc naturel régional de Brière

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Pascal Faucompré
Editeur et Rédacteur en chef de Build Green, le média participatif sur l'habitat écologique et pertinent. Passionné par le sujet de l’éco-construction depuis 2010. Également animateur de nombreux réseaux sociaux depuis 2011 et d'une revue de web sur : Scoop.it

5 réflexions sur “Le Chaume : un matériau naturel aux multiples usages pour le bâtiment

  1. Bonjour,

    Je suis très intéressé par l’utilisation de ces roseau en bardage que vous mentionnez dans l’article. Je suis en train de construire un studio de musique qui flottera dans le port de Copenhague, et j’aimerais énormément l’utiliser pour le revêtement de façade du bâtiment. Pouvez-vous me dire plus sur qui produit ces bardage de roseau, comme ceux montrés sur les photos dans l’article ? J’aimerais beaucoup entrer en contact avec eux.

    Merci d’avance !

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