Une-Biodiversite de quoi parle-t-on

Biodiversité, de quoi parle-t-on ?

La « Biodiversité » renvoie à toutes les formes de vie, même les plus ordinaires, et aux interactions qui se produisent entre elles, dans des milieux donnés. On parle alors d’écosystèmes. Espèces et écosystèmes produisent des fonctionnalités dont la plupart sont indispensables à l’homme : épuration de l’eau, fertilité des sols, production d’oxygène, etc…. La biodiversité n’est pas uniquement présente dans les espaces ruraux ou les forêts : elle est également à nos portes et notamment en ville. Cet environnement bâti abrite en effet un ensemble d’espèces particulières et on parle de biodiversité urbaine.

A titre d’exemple, on recense environ 60 espèces d’oiseaux nicheurs dans Paris intra-muros et 19 espèces de vers de terre ont été trouvées à Paris lors de la première édition de l’Observatoire participatif des vers de terre (OPVT) en 2016[1]. Bien que la diversité végétale soit majoritairement représentée par les espèces cultivées dans les espaces verts, les plantes sauvages sont également bien présentes à Paris. Au cimetière du Père Lachaise, le plus grand espace vert de Paris intra-muros, pas moins de 400 espèces de plantes sauvages et plus de 40 espèces d’oiseaux (dont des chouettes hulottes, des faucons crécerelles, et des éperviers) ont ainsi été recensées[2].

Mais ne vous méprenez pas, la biodiversité est en déclin en Île-de-France comme partout ailleurs : entre 2004 et 2017, la population d’oiseaux communs spécialistes des milieux bâtis a décliné de 41%, et on compte 73% de moineaux en moins à Paris entre 2003 et 2016. Ce ne sont là que de malheureux exemples parmi tant d’autres…

Quel lien avec le bâtiment ?

Chaque année en Europe, plus de 1000 km² d’infrastructures sont bâties sur des terres ou des forêts, et plus de 500 km² des sols sont rendu imperméables par des revêtements artificiels (bitume ou béton).

Cette érosion engendre de nombreux impacts négatifs sur la biodiversité et sur l’homme, que ce soit à l’échelle de la parcelle sur laquelle le bâtiment se trouve, ou plus largement à l’échelle des territoires :

  •  Pertes de services écosystémiques : épuration de l’eau, recyclage de la matière organique, réduction du stockage carbone…
  •   Fragmentation de l’espace : nuisances pour les populations animales et végétales
  •   Perte de couvert végétal : régulation des températures et du climat
  •   Effets d’îlots de chaleur urbains : canicules, pollutions urbaines
  •   Pollutions liées aux matériaux : pollution de l’eau et de l’air, pollution sonore
  •   Imperméabilisation des sols : surcoût de gestion de l’eau, inondations
  •   Cadre de vie altéré : disparition de la verdure, des jardins, des chants d’oiseaux…

Intégrer les questions de biodiversité dans la conception de la ville et du bâti, c’est d’abord intégrer la préséance du vivant : l’attention est en priorité portée sur les espèces vivantes – la biodiversité et les humains – pour décider de ce qui peut être fait de l’espace et/ou de la façon dont on va construire ou rénover un bâtiment.

De nombreux principes sont déjà connus – et encore trop rarement appliqués – vis-à-vis de la conception, de la construction, de l’exploitation et de la déconstruction des bâtiments. Ces principes sont très bien expliqués dans le guide « Bâtir en favorisant la biodiversité », de l’Agence Régionale de la Biodiversité – une référence sur ce sujet, que nous vous conseillons vivement de lire[3]. L’un de ces principes concerne l’impact de la fabrication des matériaux sur l’environnement. En amont, les matériaux et les produits, de part les matières premières qu’ils intègrent par exemple, peuvent avoir des impacts « masqués » sur la biodiversité… On parle alors de biodiversité grise.

Qu’est-ce la biodiversité grise ?

Le terme de « biodiversité grise » est apparu en analogie avec celui de l’énergie grise, lors des réflexions pour le lancement de la réglementation E+C-. « La biodiversité grise se comprend comme le cumul des impacts positifs et négatifs sur les écosystèmes induits sur l’ensemble du cycle de vie d’un matériau ou d’un produit (équipement et énergie) à savoir : la production, l’extraction, la transformation, la fabrication, le transport, la mise en œuvre, l’utilisation, l’entretien puis pour finir le recyclage » selon le rapport de 2015 « Bâtiment et biodiversité » du Plan Bâtiment Durable. Ce concept permet d’intégrer la réflexion sur la biodiversité dès le commencement du cycle de vie d’un matériau.

Toutefois la biodiversité grise reste mal connue et manque d’une méthodologie adaptée pour objectiver et quantifier les impacts induits. Les FDES des matériaux (Fiches de Déclarations Environnementale et Sanitaire), qui font référence pour mesurer l’impact environnemental des produits, présentent une multitude d’indicateurs dont les liens avec la biodiversité sont plus ou moins directs.

De fait, il n’existe aucun indicateur « global » concernant les impacts sur la biodiversité. Séduisante, l’idée d’un tel indicateur est toutefois difficile à mettre en œuvre en pratique, les impacts sur la biodiversité étant multiples, interconnectés et complexes à appréhender.

chanvre-materiaux-biosources

Quels liens entre matériaux biosourcés et biodiversité ?

Les matériaux biosourcés, intègrent une part de biomasse d’origine animale ou végétale. A chaque étape du cycle de vie d’un produit, ces matériaux peuvent avoir des effets positifs, mais aussi négatifs, sur la biodiversité. Voici un bref tour d’horizon pour introduire le sujet, en suivant le cycle de vie d’un produit. Ces arguments sont à prendre avec précaution, d’une part car nous ne sommes pas des écologues spécialistes du sujet, mais également car il y a un déficit de données sur le sujet. Il s’agit ici avant tout de pointer les questions que soulèvent les matériaux biosourcés, et d’inviter à creuser la question.

Le caractère renouvelable des cultures dont sont issus les matériaux biosourcés peuvent limiter leurs impacts sur les écosystèmes à cette étape. Toutefois, les pratiques culturales ont une influence significative sur la biodiversité : utilisations de produits phytosanitaires, d’intrants, rotations culturales, etc.

Sur ce point, les réponses varient en fonction des matériaux. Qu’il s’agisse du traitement des résidus de la fabrication ou de l’implantation des unités, les impacts varient grandement entre un matériau quasiment brut, comme la paille en isolation, et un matériau industriel, comme les isolants en fibre de bois par exemple.

Comme un grand nombre de produits de construction, les matériaux biosourcés doivent être transportés depuis leur lieu de fabrication jusqu’au chantier, avec des distances de transport induites très variables. Le moyen de transport est lui aussi à prendre en compte (pollution de l’air ou de l’eau, destruction d’habitats naturels, etc.). Il existe néanmoins de nombreuses filières biosourcées françaises, voire locales, ce qui permet de réduire une partie de l’impact du transport sur les écosystèmes.

Par leur nature, les matériaux biosourcés peuvent potentiellement disperser moins de polluants dans leur environnement. L’entretien qu’ils induisent (utilisation ou non de produits chimiques, fréquence d’entretien, etc.) est également à prendre en compte. Par ailleurs, utilisés en aménagement intérieur, ils peuvent participer à la prise de conscience environnementale de leurs usagers, et jouent indirectement en faveur de la biodiversité.

En fin de vie, le taux de biodégradabilité des matériaux biosourcés peut être très élevé. Le « retour au sol » peut donc être envisagé, et favoriser ainsi la régénération des sols et de leurs biotopes. Par ailleurs, la transformation d’un déchet en ressource pourrait se faire avec peu d’intervention, ce qui réduirait alors généralement les externalités négatives.

Ce récapitulatif succinct semble indiquer des avantages potentiels en matière de biodiversité grise pour certains matériaux biosourcés, en particulier ceux issus de cultures raisonnées, les moins transformés, et distribués localement. Toutefois, aucune méthodologie n’existe aujourd’hui pour permettre de quantifier ces impacts, et ainsi permettre de comparer un matériau à un autre.

Deux exemples de filières : le roseau et le chanvre

Le roseau, épurateur naturel

Cette ressource est utilisée depuis longtemps comme matériau car reconnue pour ses qualités d’isolations thermique et phonique. Cette graminée nécessite une coupe annuelle pour se régénérer. L’utiliser c’est donc agir en faveur de son maintien, ainsi que de celui des zones humides qu’elle peuple. En tant que matériau biosourcé le roseau présente des avantages liés à son caractère végétal (fixation du carbone, taux de biodégradabilité, pas d’extraction…) tout en ayant ses propres atouts.

roseau, épurateur naturel

Epuration de l’eau : Les roseaux favorisent les bactéries aérobiques, agents de transformation des boues en humus, participant au cycle naturel d’épuration de l’eau.

Maintien des milieux humides : Les zones humides, dont font partie les roselières, sont des réservoirs de biodiversité. Pourtant, ces milieux sont menacés, car leur entretien ne rentre pas dans des logiques économiques. La valorisation du roseau en matériau permet de légitimer ces espaces.

Limitation de l’érosion : En fixant les sédiments, le roseau agit aussi contre l’érosion. La Camargue ou encore la Bretagne profitent ainsi pleinement de cet avantage.

Le chanvre et ses pouvoirs cachés

La France est le premier producteur de chanvre industriel Européen. Cette plante est utilisée dans la construction pour ses qualités hygrothermiques et de déphasage, garantissant un confort naturel été comme hiver. En tant que matériau on le connaît principalement en tant que béton de chanvre. Comme la luzerne, la culture du chanvre est considérée comme une « surface d’intérêt écologique » par la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC).

Champ de Chanvres - Skyfarm par Michael-Leung - Australie © Living Big in a Tiny House.com

Culture de rotation : Le chanvre est une plante de rotation qui par son pouvoir couvrant élimine les adventices et permet de reposer les sols. A terme elle induit une réduction des intrants nécessaires à l’agriculture, y-compris pour les cultures suivantes en rotation.

Impact sur l’environnement : Cette plante ne nécessite pas d’intrant ni d’irrigation – sous nos latitudes – pour se développer. De plus son système racinaire profond aère et structure le sol. La culture de chanvre assure ainsi une meilleure qualité de l’eau ou encore un non-dérèglement de l’écosystème général en dépolluant les sols (réduction des nitrates et métaux lourds).

Que faire ensuite ?

Le lien entre les matériaux et la biodiversité est évident, comme le montre ces quelques exemples sur les matériaux biosourcés. Toutefois, il est actuellement totalement ignoré dans la construction. Alors bien sûr, on parle déjà de carbone en plus de l’énergie, et la complexité supplémentaire que cela induit n’est pas neutre. Pourtant, la perte drastique de biodiversité que nous connaissons actuellement – pour ne pas parler d’extinction de masse – est un sujet tout aussi important que celui du réchauffement climatique.

Sans créer un nouvel indicateur dans une réglementation et la complexifier davantage, la biodiversité mériterait d’être mieux appréhendée par les acteurs du bâtiment, pour appliquer des principes simples et efficaces (cf infra), et en faire des réflexes.

Sur les matériaux et la biodiversité grise, un travail de clarification est à mener, auquel nous sommes prêts à participer. Bien que cet avis n’engage à rien, nous pensons que cela ne pourra que aboutir à promouvoir, une fois de plus, des solutions de « basse technologie » (frugales ou low tech pour les intimes) !

[1] La biodiversité en Île-de-France : Chiffres clés (2018), agence régionale de la biodiversité

[2] https://www.20minutes.fr/planete/815488-20111031-cimetieres-vie-vegetale-animale-reprend-dessus

[3] Guide « Bâtir en favorisant la biodiversité » – Agence Régionale de la Biodiversité (ex-NatureParif) – 2012 / http://www.arb-idf.fr/publication/guide-batir-en-favorisant-la-biodiversite-2012

Auteurs : Florian Rollin, Antoine Boudier, Virginie Gautier

Crédits Photos : Colsu (Wikimedia) Micromoth (Pixabay), Yves Hustache (Karibati)

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Karibati
Karibati est une jeune entreprise innovante née de la conviction que le bâtiment de demain intègrera le végétal pour devenir performant aux niveaux environnemental, économique, social et culturel. Karibati accompagne les acteurs publics et privés qui innovent grâce aux matériaux biosourcés pour le bâtiment. Notre nom associe « kari » qui signifie "jardin" en Maori et « bâti ».

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