Créer son habitat en zone agricole ou naturelle est-il légal ?

De plus en plus nombreuses sont les personnes aspirant à une reconnexion avec le vivant, à une vie au milieu de la nature, à un habitat incarnant l’aspiration à la cohérence écologique et à une forme d’autonomie. Or l’un des principaux obstacles sur leur route est la difficulté voir l’impossibilité juridique de créer légalement un habitat dans des espaces considérés administrativement comme agricoles ou naturels.

 

Dans cet article, je vous propose donc d’explorer (dans les grandes lignes) comment le droit de l’urbanisme actuellement applicable en France cadre ce qu’il est ou non possible de construire en termes d’habitat dans ces espaces.

Deux précisions avant de commencer :

  • est uniquement abordé dans cet article le cas des habitats servant de domicile à leurs utilisateurs et non les habitats de loisirs
  • par “projet agricole” je sous-entends un projet agricole professionnel, impliquant donc affiliation à la MSA pour avoir un statut officiel en tant qu’agriculteur, création d’une structure juridique adaptée pour la conduite de l’activité et réalisation de productions commercialisées

 

1° Un peu de vocabulaire

Le type de construction qui nous intéresse ici sont les constructions à destination d’habitation et à sous-destination de logement. La notion de destination, inscrite aux articles R 151-28 et R 151-29 du Code de la construction et de l’habitation, désigne l’utilisation principale et officielle d’une construction et à de nombreuses implications pratiques (notamment au niveau de la fiscalité foncière et du droit de l’urbanisme) dont on verra quelques unes dans cet article.

Juridiquement le terme “construction” est entendu de façon très extensive : peu importe qu’un objet n’ait pas de fondation, dispose de roues et/ou soit facilement démontable, s’il est ou sera factuellement utilisé selon l’une des destinations et sous-destinations fixées par les articles ci-dessus, il est bien considéré comme une construction.

 

2° Bases en droit de l’urbanisme

En France existent aujourd’hui 3 cas de figure :

  • les communes sans document local d’urbanisme (rare, en général des communes rurales avec peu de population)
  • les communes ayant une carte communale (en général des communes rurales)
  • les communes ayant un plan local d’urbanisme, qui peut être aussi bien communal qu’intercommunal (c’est le cas le plus courant et ce de plus en plus)

A – Dans les communes sans document local d’urbanisme ou avec carte communale

Dans les communes sans document local d’urbanisme ou avec carte communale les règles d’urbanisme applicables sont précisées par le Règlement National d’Urbanisme (RNU), constitués des articles L 111-1 à L 111-26, R 111-1 à R 111-53 et A 111-1 à A 111-10 du Code de l’urbanisme. Les règles essentielles à retenir ici sont :

  • La préservation des activités agricoles et forestières
  • La préservation des patrimoines (bâtis, paysagers…) et de l’environnement
  • La bonne intégration visuelle de tout projet dans son environnement
  • La desserte de toute construction par la voirie et accessibilité pour les services de secours
  • En principe la possibilité de construire uniquement dans les parties actuellement urbanisées (PAU) de la commune

Mais que sont les PAU ?

Si la commune a une carte communale, il faudra alors regarder le règlement graphique de celle-ci, qui précise au niveau cadastral les PAU (qui sont les secteurs constructibles) et les espaces hors PAU (qui sont en principe inconstructibles).

Par contre, si la commune n’a pas de document local d’urbanisme, pas de document à consulter : c’est à la collectivité d’estimer si un site en particulier est ou non situé en PAU. Les règles d’estimation ne sont pas précisées par le Code de l’urbanisme mais par une abondante jurisprudence – selon celle-ci, une collectivité peut estimer qu’un site est en PAU si il présente plusieurs des critères suivants :

  • Présence de bâtiments déjà construits à proximité, a fortiori s’ils sont nombreux
  • Faible distance par rapport aux constructions déjà existantes
  • Absence de coupure d’urbanisation par rapport à ces constructions (une coupure d’urbanisation est un obstacle matériel comme par exemple une route, un cours d’eau ou un bois)
  • A déjà été délivré, pour un projet constructif sur le site (qu’il se soit réalisé ou non), une autorisation d’urbanisme ou un certificat d’urbanisme opérationnel avec avis positif sur le projet en question

Que peut-on construire si le site envisagé pour le projet constructif est hors PAU ?

En principe, rien selon l’article L 111-3 du Code de l’urbanisme. Mais l’article suivant du même Code prévoit plusieurs exceptions pouvant permettre la construction d’un bâtiment d’habitation :

  • « L’adaptation, le changement de destination, la réfection, l’extension des constructions existantes ou la construction de bâtiments nouveaux à usage d’habitation à l’intérieur du périmètre regroupant les bâtiments d’une ancienne exploitation agricole, dans le respect des traditions architecturales locales »
  • « L’extension mesurée des constructions et installations existantes »
  • « Les constructions ou installations, sur délibération motivée du conseil municipal, si celui-ci considère que l’intérêt de la commune, en particulier pour éviter une diminution de la population communale, le justifie »
  • “Les installations et constructions nécessaires à l’exploitation agricole” – nous reviendrons sur ce cas un peu plus tard dans l’article

B – Dans les communes avec plan local d’urbanisme (PLU)

Le PLU contient de nombreux documents dont :

  • Le règlement graphique, un plan qui définit les zones réglementaires d’urbanisme sur tout le territoire de la collectivité
  • Le règlement écrit, qui précise les règles d’urbanisme applicables dans chacune des zones réglementaires d’urbanisme

Le Code de l’urbanisme prévoit aux articles L. 151-11 à L. 151-13 et R. 151-23 à R. 151-25 ce qu’une collectivité peut autoriser en zone agricole (A) et en zone naturelle et forestière (N), via l’écriture de ce règlement écrit :

  • Les bâtiments d’habitation existants peuvent faire l’objet d’extensions ou d’annexes
  • Le règlement graphique peut désigner des bâtiments pouvant faire l’objet d’un changement de destination
  • “Les installations et constructions nécessaires à l’exploitation agricole” – nous reviendrons sur ce cas un peu plus tard dans l’article
  • Dans le cadre d’un STECAL (secteur de taille et de capacité d’accueil limité) peuvent être autorisés :
    • des constructions (dont la destination est à préciser par le règlement écrit)
    • et/ou des aires d’accueil et des terrains familiaux locatifs destinés à l’habitat des gens du voyage
    • et/ou des résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs

C – Autres réglementations à intégrer

En plus, selon les cas, du RNU ou du règlement écrit du PLU, d’autres réglementations s’imposent aux projets constructifs notamment :

  • Les règles de prévention du risque d’incendie, précisées dans chaque département par le Règlement Départemental de Défense Extérieure Contre l’Incendie (RDDECI)
  • Les règles développées dans le Règlement Sanitaire Départemental (RSD)
  • Dans la plupart des départements les principaux acteurs institutionnels (préfecture de département, association des maires du département, conseil départemental, Chambre d’Agriculture…) ont rédigé une charte (qui porte divers noms selon les départements, on l’appelle de façon générale “charte départementale d’urbanisme”) qui définit des préconisations que doivent respecter les collectivités concernant le traitement des demandes d’autorisations d’urbanisme en zone agricole ou naturelle
  • Certains types de bâtiments sont soumis à une règlement spécifique comme par exemple les ERP (établissements recevant du public)

 

3° Une préservation toujours plus forte

Depuis deux décennies, l’Etat impose une préservation de plus en plus forte des terres agricoles et naturelles, pour qu’elles gardent leur vocation et soient préservées de l’artificialisation des terres, phénomène massif : dans la décennie 2010, c’était entre 20 000 et 30 000 hectares de terres qui ont été artificialisées chaque année. Parmi les conséquences, on peut citer :

  • la difficulté pour les eaux pluviales de s’infiltrer dans les sols, accentuant les inondations
  • la suppression de nombreux écosystèmes
  • la perte de terres agricoles fertiles, impactant donc la souveraineté et la résilience alimentaires des territoires
  • des phénomènes spéculatifs sur les marchés immobiliers, les prix du foncier augmentant considérablement et les propriétaires pariant sur la possible constructibilité future de leurs parcelles

Plusieurs textes de loi ont donc été publiés au fil des ans, contraignant les collectivités à limiter la constructibilité de leurs territoires et leur donnant des outils pour limiter l’artificialisation des terres, notamment :

Cette dernière loi a acté l’objectif Zéro Artificialisation Nette pour l’an 2050, avec un premier objectif intermédiaire de réduction de moitié du rythme de la consommation des terres par l’artificialisation dans les dix prochaines années 2021 – 2031)

Qu’entend-t-on par Zéro Artificialisation Nette ? Atteindre zéro lorsqu’on fait le solde, pour une période et un territoire donné, entre les mètres carrés artificialisés et les mètres carrés désartificialisés, c’est à dire qui étaient jusque là artificialisés et que l’on a modifié pour qu’ils retrouvent leur vocation agricole ou naturelle.

Résultat : les terrains constructibles (a fortiori ceux de grande taille) en dehors des espaces urbanisés sont déjà rares et le seront de plus en plus dans les années à venir – conséquence de cette rareté, leurs prix sont très élevés et le seront toujours plus.

 

4° Le logement de fonction d’un agriculteur

Ici, parlons d’un cas particulier : la création à neuf d’un bâtiment servant de domicile à un agriculteur, sur son exploitation. Qu’en est-il si celle-ci est située hors des parties actuellement urbanisées de la commune, en zone agricole (A) ou en zone naturelle et forestière (N) ?

Sont autorisées dans ces espaces les “constructions et installations nécessaires à l’activité agricole” et le logement de fonction d’un agriculteur en fait partie. Le Code de l’urbanisme ne précise rien de spécifique pour ce cas, en revanche la jurisprudence sur le sujet apporte des critères stricts que les collectivités sont tenues de respecter lorsqu’elles reçoivent une demande d’autorisation d’urbanisme pour ce type de projet :

  • L’ancienneté de l’activité agricole du demandeur ou, en cas d’installation récente, que celle-ci soit réalisées en bénéficiant des aides nationales à l’installation (Dotation Jeunes Agriculteurs)
  • L’affiliation à la MSA de l’agriculteur, de préférence avec le statut social d’exploitant agricole et en tant qu’agriculteur à titre principal (ATP) c’est à dire tirant de son activité agricole plus de la moitié de l’ensemble de ses revenus professionnels
  • L’absence d’alternative à la création d’un logement neuf sur le site, afin de pouvoir être domicilié sur le site
    • Si par exemple existe déjà un gîte sur l’exploitation, la demande d’autorisation d’urbanisme pour le logement de fonction peut être refusée
    • Si par exemple l’agriculteur habite déjà dans un logement sur ou proche de l’exploitation, peu importe que ce soit en tant que propriétaire ou en tant que locataire, la demande d’autorisation d’urbanisme pour le logement de fonction peut être refusée
  • La taille des moyens de production doit être au moins égale à 1 surface minimale d’assujettissement (SMA)
  • Il doit y avoir la nécessité impérative d’une présence constante de l’agriculteur sur son site de production – c’est souvent là où le bât blesse… La jurisprudence a effet considéré que cette nécessité n’existe pas dans les productions suivantes : maraîchage, viticulture, arboriculture, grandes cultures. En revanche elle a reconnu cette nécessité si l’activité menée sur site était de la culture de safran, du pépiniérisme, de l’élevage de bovins, d’ovins, de caprins ou encore du gardiennage de chiens de pension. Dans ces activités, ni la loi ni la jurisprudence ne précisent de seuils (par exemple en termes de nombre d’animaux) : c’est à la collectivité d’apprécier au cas par cas, en fonction de toutes les facettes de la situation, si la nécessité existe ou non.

5° Et les habitats légers ?

Les habitats légers, dits aussi habitats réversibles, qui servent de domicile à leurs utilisateurs appartiennent aujourd’hui à deux catégories : les “résidences mobiles constituant l’habitat permanent des gens du voyage” (les tiny houses se situent dans cette catégorie par exemple) et les “résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs” (la yourte par exemple).

Tous les points développés jusqu’ici dans cet article s’appliquent aussi aux habitats réversibles. Pour plus de précisions sur la réglementation spécifique à ces habitats, nous vous invitons à parcourir les articles déjà publiés sur Build Green :

Au-delà du juridique, il est certain que de façon générale les habitats réversibles contribuent à lutter contre l’artificialisation des sols car ne causant pas par eux-mêmes d’artificialisation des sols : ce sont soit des véhicules soit des constructions intégralement démontables n’ayant pas de fondation ou une fondation réversible.

Par contre il faut quand même prêter attention que, sauf exception, un habitat (et a fortiori plusieurs habitats) n’arrive jamais seul : des éléments qu’entraînent sa construction, soit du fait d’une réglementation soit par décision d’ordre politique ou économique, peuvent causer de l’artificialisation des sols ou, de façon plus général, un impact sur le vivant :

  • Les réseaux (eau potables, eaux pluviales, assainissement, électricité, télécommunications)
  • La voirie publique ou privée nécessaire pour leur desserte
  • Un défrichement est parfois nécessaire pour les implanter et/ou pour respecter la réglementation locale de prévention du risque d’incendie
  • Les habitants nécessitent (et souvent réclament) des services publics (établissements scolaires, service postal, établissements de santé…) et des activités économiques (commerces, artisanat), qui seront d’autant plus intéressés pour s’implanter que le nombre d’habitants est important

6° La rénovation

La rénovation des bâtiments déjà existants pose peu de difficultés juridiques, elle est en principe autorisée partout, quel que soit le territoire (comme on a pu le voir plus haut dans la deuxième partie). Les difficultés les plus courantes sont :

  • La limitation de la taille et du nombre des extensions et d’annexes possibles
  • La bonne intégration du bâtiment rénové dans son environnement, règle qui peut s’avérer fortement contraignante dans un secteur de préservation du patrimoine
  • Si le bâtiment n’est pas déjà à destination d’habitation (par exemple une grange qui était jusque là à destination d’exploitation agricole et forestière), il faudra obtenir une autorisation d’urbanisme pour passer sur la destination d’habitation, ce qui n’est pas toujours possible.

Au-delà du juridique, la rénovation d’un bâtiment existant est certes contrainte par la structure existante mais de nombreux exemples démontrent le vaste champ des possibles présent, que ce soit en termes d’esthétique, de redéfinition des volumes ou de matériaux. De plus, la rénovation est, à taille équivalente, nettement moins consommatrice de matériaux qu’une construction neuve (étude Ademe pdf) et donc plus respectueuse du vivant et la raréfaction des ressources minières. Sans compter les multiples aides à la rénovation énergétique aujourd’hui disponibles et la possibilité de réutiliser les matériaux retirés au cours d’un chantier dans la construction elle-même ou ailleurs (le jardin notamment) !

C’est la démarche que j’ai mené moi-même dans ma propre maison à la campagne (voir vidéo reportage)

7° Ouverture

Pour être accompagné et conseillé dans un projet constructif, vous pouvez vous adresser :

  • Au réseau France Rénov’ pour tout projet de rénovation énergétique
  • Au CAUE (conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement) de votre département
  • A un architecte (lien vers site de l’ordre des architectes)
  • À un professionnel du droit (avocat, juriste ou notaire)

Cet article est issu de la présentation dans le cadre des Jeudi Webinaire dont voici la vidéo

Plus d’infos sur Joris Danthon ci-dessous…

Atelier Fertile
Juriste et formateur-consultant en permaculture Dans le domaine de l’éco-construction et de la permaculture, je propose webinaires, livres et séances de conseil, à découvrir sur le site de l’Atelier Fertile (https://www.atelierfertile.com). J’ai également publié de nombreuses vidéos, à retrouver sur la chaîne Youtube « L’Atelier Fertile » (https://www.youtube.com/c/AtelierFertile)

L'Atelier Fertile

La Haluchère
44520, GRAND AUVERNE

0767014263 0767014263

Activités : indépendant

5,0

Spécialités : formation, permaculture

Site web : https://www.atelierfertile.com/

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