Autonomie, sobriété, low tech, résilience, frugalité, définitions et applications dans l’habitat

Résilience, frugalité, sobriété, autonomie, low tech, ces concepts sont-ils une mode de bobo urbain ou la prise de conscience d’un profond changement à mettre en place ? Dans un monde où les bouleversements climatiques et le manque de ressources sont prégnants, se loger a un impact non négligeable. Alors comment l’architecture peut appliquer ces concepts dans un projet d’habitat ? On essaie de vous décortiquer cela, toujours en toute objectivité…

Autonomie, une recherche d’indépendance

Dès l’adolescence, l’autonomie inspire le désir. C’est l’opportunité de vivre plus librement sans dépendre de l’autorité parentale.

Capacité à ne pas être dépendant d’autrui

Dans l’habitat être autonome, c’est ne plus dépendre des réseaux (électrique, eau, assainissement,…), en anglais, on parle de “offshore”. Certains vont plus loin en essayant de produire leur propre alimentation.
Si légalement c’est parfois compliqué, de plus en plus de personnes démarrent leur projet d’autonomie soit par le biais de l’alimentation (via la réalisation d’un potager) soit par celui de l’auto-consommation énergétique (avec des panneaux photovoltaïques).

Ne pas confondre avec l’autarcie, une forme immatérielle qui se suffit à elle-même et n’entretient pas d’échanges avec l’extérieur. L’autarcie est assez difficile à atteindre, sauf à vivre complètement seul et isolé.

Attention à bien jauger son niveau d’autonomie. Plus il est élevé, plus il nécessitera d’investissement personnel (et même financier) au sacrifice de toute autre activité rémunératrice.

Sobriété, une contrainte nécessaire

La notion de sobriété parle d’abord de privation – d’alcool notamment. On l’applique plus généralement à notre vie quotidienne. Dernièrement, c’est le président Macron qui a impulsé son plan de sobriété énergétique après avoir sifflé la fin de l’abondance (énergétique).

Qualité de quelqu’un qui se comporte avec retenue

Appliqué à l’écologie, c’est le fait de vivre modestement, sans consommer plus que nécessaire, pour limiter sa consommation d’énergie et agir contre le réchauffement climatique.

Dès ses premiers scénarios pour une transition énergétique, l’association Négawatt a fait de la sobriété (pdf) une nécessité. Contraindre ne doit pas être la politique à adopter, il faut au contraire privilégier une approche d’éducation et de régulation, par les prix et par le cadre réglementaire, dans une démarche collective, de façon structurelle au niveau des territoires, dimensionnelle au niveau des équipements, sur les usages du quotidien au niveau énergétique et la consommation de biens, en mutualisant autant que possible.

Pour le philosophe-agriculteur Pierre Rabhi, la « sobriété doit être heureuse ». C’est une posture délibérée pour protester contre la société de surconsommation. Contre l’idéologie du toujours-plus illimité, fondée sur une boulimie consommatrice. P. Rabhi propose une « modeste prospérité », basée sur l’auto-limitation et la régulation de nos besoins.

Dans un habitat, être sobre, c’est avant tout réduire tous ses postes de consommations, de biens (inutiles), de loisirs, de déplacements, et bien évidemment d’énergie. On peut aussi aller plus loin en mutualisant l’achat et l’usage de certains biens et services, pour éviter de stocker et consommer individuellement.

Low tech, une démarche systémique

Selon l’ADEME « Le qualificatif de low-tech s’applique à une démarche et non pas à son résultat. » Ainsi, un objet n’est pas low-tech dans l’absolu, il est plus (ou moins) low-tech qu’une solution alternative répondant au besoin initial. On pourrait donc dire que les low-tech au sens strict (lowest-tech : biens et services, ayant entre autres atteint l’optimum technologique), découlent de la démarche low-tech (lower-tech).

L’objectif des low-tech serait donc surtout, de viser entre autres l’optimum technologique : plus basse intensité et plus grande simplicité technologiques permettant de répondre aux besoins avec un haut de niveau de fiabilité.

Philippe Bihouix est un des inspirateurs de cette démarche en France, avec son livre “L’âge des low tech : Vers une civilisation techniquement soutenable” paru en 2014 ! Il a notamment inspiré Le Low Tech Lab et le mouvement Low Tech Nation qui souhaite impulser cette démarche auprès des étudiants et de tous nos contemporains.

Pour Arthur Keller, auteur-ingénieur, grand conférencier, la démarche low-tech est « une approche, une méthode, une vision, une philosophie, presque une culture, dépassant largement la question technologique stricte. Une démarche d’ensemble qui permet de se remettre en conformité avec les limites planétaires, c’est-à-dire de ne pas consommer davantage d’énergie, de matériaux et de ressources que ce que la Terre peut durablement fournir ».

Par Arthur Keller et Émilien Bournigal

Par Arthur Keller et Émilien Bournigal —  CC BY-SA 4.0

Une étude collective menée par l’ADEME en 2022 propose de définir la démarche low-tech à partir de 5 critères noyaux :

  • La prise en compte des limites écologiques et de l’impact environnemental ;
  • Le questionnement des besoins et la recherche de frugalité ;
  • L’accessibilité de la démarche et la démocratisation de la technologie ;
  • La dimension systémique ;
  • La réduction de la complexité ou la recherche de la simplicité.

Les low-tech peuvent s’avérer un outil intéressant pour la transition écologique, au vu des bénéfices environnementaux, économiques et sociaux qu’elles peuvent apporter. Les low-tech sont cependant entravées dans leur déploiement à grande échelle par des obstacles culturels, réglementaires et financiers.

Appliqué à l’architecture de l’habitat, la démarche low tech s’inscrit tout à fait dans la recherche d’une conception par une vision holistique du bâti, comprenant un minimum de technologie. Et si elle existe, elle doit être fiable, facilement réparable ou interchangeable. Elle prend en compte aussi le choix des matériaux de réemploi, biosourcés, géosourcés, ou encore recyclés dont la fabrication ou l’usage impacte le moins possible. L’intérêt de cette démarche est qu’elle peut complètement impliquer l’habitant et lui donner la main au moment de sa construction jusqu’à son entretien, sans grande intervention extérieure.

Résilience, mieux se préparer au cahot

Le concept de résilience peut être employé dans plusieurs contextes. Le plus souvent, on l’utilise en écologie ou dans le domaine social, avec une différenciation d’une application réactive ou proactive.

La résilience écologique, d’après wikipedia, est la capacité d’un système vivant (écosystème, biome, population, biosphère) à retrouver les structures et les fonctions de son état de référence après une perturbation.

Ainsi, l’écosystème forestier a par exemple la capacité de se reconstituer après un incendie ou une tempête grâce à une banque de graines contenues dans le sol ou à des propagules transportées par le vent, l’air, l’eau ou les animaux. C’est une résilience naturelle qu’on peut retrouver aussi dans les savanes africaines, les

Dans le domaine social, la résilience communautaire s’intéresse au groupe et au collectif plus qu’à l’individu isolé, pour la capacité d’un système social à « rebondir » après une perturbation, par exemple pour la résilience à une catastrophe naturelle ou technologique ou dans le cadre de l’adaptation au changement climatique. C’est une vision « réactive » de la résilience.

Or, le plus souvent, quand les journalistes ou les auteurs empruntent ce terme de résilience, c’est dans une démarche d’anticipation, « proactive », de préparation à des événements climatiques, économiques et sociétaux. C’est aussi le cas des collapsologues qui souhaitent nous préparer à ces risques d’effondrements environnementaux et sociétaux, de nature systémique.

Nous avons connu dans notre histoire plusieurs effondrements de civilisations, souvent limités à une zone géographique. Depuis une vingtaine d’années, ce risque de collapse mondial est porté par divers théoriciens tels que Hubert Reeves (astrophysicien), Yves Cochet (politique écologiste), Pablo Sevigne (auteur), Aurélien Barau (astrophysicien) ou Fred Vargas (chercheuse et auteure), chacun avec ses conseils pour se préparer, pour théoriser une résilience sociétale.

A l’échelle de l’habitat, la résilience se propose d’anticiper toutes les catastrophes à venir, en s’isolant de tout risque, avec des solutions low tech pour se rendre autonome vis à vis de l’énergie, de l’eau, de l’alimentation, et en minimisant ses déchets. On combine alors les notions de sobriété et d’autonomie.

Les plus extrémistes (les survivalistes) eux, vont plus loin en se préparant à vivre en autarcie, sans prendre en compte les notions d’impact environnemental, en stockant de la nourriture et des armes, en construisant des abris antiatomiques, ou en apprenant certaines techniques de bushcraft afin de s’abriter, se réchauffer, avoir de l’eau potable et se nourrir en milieu sauvage ou hostile (chasse, cueillette, production de feu).

A noter qu’il existe un indice de résilience climatique qui permet d’évaluer la capacité d’un pays à se préparer aux risques climatiques et politiques et à la lutte contre la corruption. La France se classe au 16ème rang sur 130 pays avec un indice de 89,4. Il y a encore des progrès à faire !

Frugalité, pour s’appuyer sur l’intelligence collective

C’est certainement le moins connu des 5 termes. Pourtant, on pourrait positionner la frugalité comme la définition qui accorde une signification transversale, englobant les 4 notions précédentes.

Dérivé de frux le fruit, frugalis signifie initialement « qui produit »

En janvier 2018, Alain Bornarel, Dominique Gauzin-Müller et Philippe Madec lancent un manifeste pour une frugalité heureuse et créative. Face à l’inertie du monde politique, par la connaissance de la responsabilité des bâtisseurs dans le dérèglement global : « 40% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et… », ils voulaient arrêter de demander l’autorisation de faire autrement. La frugalité est « la juste récolte des fruits de la terre. Elle est bonne quand elle est mesurée, heureuse pour la terre, indemne, et pour les êtres qui l’exerce justement rassasiés. »

 

Pour Philippe Madec, « la frugalité n’est pas un dogme mais une manière bienveillante d’être là pour la Terre et les êtres »

 

Comme l’explique Hervé Chaygneaud-Dupuy dans son blog, « l’abondance frugale n’est déjà plus un oxymore pour ceux qui préfèrent l’usage à la possession, limitent leur consommation de viande, ne placent plus leur statut social dans la bagnole… »

En architecture, dans le manifeste pour une frugalité heureuse, les co-auteurs invitent à travailler à l’échelle du territoire sur la production d’énergie renouvelable, à concevoir de manière bioclimatique pour capter les apports du soleil et réduire ses consommations. La frugalité doit aussi s’appliquer au niveau de la matière, pour éviter les gaspillages de ressources avec des matériaux structurels comme le bois ou la terre et des isolants biosourcés. Elle invite aussi à une approche low tech (voir plus haut) pour refuser l’hégémonie de la vision techniciste du bâtiment et maintient l’implication des occupants. Tout ceci doit se faire dans le respect du territoire (air, sols, eau, biodiversité) pour alléger l’empreinte écologique. Pour y parvenir, il faut s’appuyer sur le patrimoine culturel et l’intelligence de l’habitant.

Bonus : permaculture, architecture et autres concept houses

Nous pourrions aussi ajouter à cette liste de concepts, les principes permacoles élaborés dans les années 1970 par le biologiste australien Bill Mollison et son élève David Holmgren. Cette notion de permaculture a progressivement été étendue à une conception systématique de l’environnement et de l’habitat. Le co-créateur de Build Green, Claude Lefrançois, avait déjà fait le parallèle entre l’écoconstruction et la permaculture. Plus récemment, Joris Danthon, permaculteur et formateur, le définit dans sa présentation vidéo “comment appliquer la permaculture à l’habitat”, comme “l’art de créer des écosystèmes humains durables”.

En architecture, plusieurs concepts basent leurs fondamentaux sur l’adaptation et l’exploitation de la nature. Le bioclimatisme (ou architecture bioclimatique) fait appel à des stratégies, techniques et constructions simples qui permettent de chauffer, rafraîchir et/ou ventiler l’intérieur d’une construction à partir d’éléments naturels comme le soleil et le vent.
D’autres types d’architecture tentent de proposer des solutions résilientes, comme l’architecture vernaculaire qui fait référence à des techniques locales et traditionnelles éprouvées, ou l’architecture biophilique qui se réfère à la présence de la nature dans le bâtiment. Différents concepts house ont ensuite été déclinés par différents architectes, designers, ingénieurs et autres constructeurs : maison paille, earthship, earthbag, passivhaus, … jusqu’aux maisons minimalistes !

La subtilité entre toutes les définitions de ces différentes notions est souvent bien mince. L’objectif commun reste cependant le même pour chacune : impacter le moins possible sur l’environnement. Chacun peut y trouver son compte, jauger son niveau d’implication ou mixer les concepts, pourvu que l’Humanité et la Planète en soit prémuni !

Crédit photoMichael Pointner de Pixabay

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Pascal Faucompré
Editeur et Rédacteur en chef de Build Green, le média participatif sur l'habitat écologique et pertinent. Passionné par le sujet de l’éco-construction depuis 2010. Également animateur de nombreux réseaux sociaux depuis 2011 et d'une revue de web sur : Scoop.it

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